Introduction.
Dans l’évolution du questionnement de l’homme sur
lui-même et sur le monde dans lequel il se trouve, la philosophie, la
métaphysique et la genèse du savoir scientifique apparaissent dans le monde
grec ancien, comme prenant la suite du mythe, voire de la théologie des
origines selon Homère et Hésiode. Généralement, on attribue dans le monde
occidental, l’Europe, ce changement de perspective aux penseurs-philosophes qui
vécurent "avant" Socrate. On s’accorde en effet pour situer à leur
niveau le commencement de la pensée occidentale, le principium de la pensée occidentale comme dirait H.G. Gadamer1
qui distingue deux sens possibles au mot "principium" ; celui, temporel, de début, d’origine, et
celui, plus spéculatif avec le sens d’une logique de questionnement, une
logique spéculative. Gadamer fait une analogie avec la jeunesse quand il
considère ce deuxième sens du mot, une "analogie qui donne à entendre un type de mouvement où, à mesure que ce
dernier se détermine davantage, une direction se concrétise qui, au début est
indécise au lieu d’être déjà fixée.1" C’est ce second sens
que je voudrais retenir, car comme dit Gadamer, "Il y a chez eux (les présocratiques) une quête qui n’est liée à aucun savoir portant sur le destin
final, sur le but d’un parcours
riche en possibilités." Je voudrais retenir ce second sens mais en
limitant le propos non pas à la méthodologie qui le déploie, mais en
considérant la ou les réponses à la question : Que pouvons-nous trouver à l’origine, à toute origine, de ce que peut
être l’existant observable ou simplement concevable ? C’est donc la
question de l’Être. Je voudrais dégager quelques lignes directrices de la
genèse de cette démarche qui se poursuit encore aujourd’hui, et qui dès le
départ fixa comme un mode opératoire d’une extraordinaire souplesse.
Le génie et l’honneur des
philosophes présocratiques, c’est d’avoir placé l’origine de toute connaissance
à ce point de questionnement en écartant, non pas l’intuition ni l’imagination,
mais les raccourcis mythiques et mythologiques qui faisaient de l’homme le "sous-traitant"
d’une dogma divine. Ce fut donc une
libération aussi ! Et Rémi Brague de proposer dans ce sens, cette
définition de la philosophie : "la
philosophie consiste à affirmer la liberté et à la soutenir avec toutes ses
conséquences.2" Les philosophes présocratiques prirent donc
leur liberté et nous l’offrent par la même occasion en nous invitant à y
pénétrer, car, il faut faire l’effort de participer.
De cette libération, je voudrais
surtout examiner vers quoi elle tend en écartant son comment et son pourquoi
qui, de toute façon, ne sont pas très explicites chez la plupart de ces
philosophes, ou bien alors, ne sont que des conjectures indémontrables. En
fait, on dénote selon Proclus 3 deux points d’ancrage géographique
principaux qui sont à l’origine de ce questionnement. Il y a un troisième point
d’ancrage, lui aussi géographique, où se fit comme une synthèse. Proclus fut
donc le père de cette géographie philosophique qui permet de se fixer les idées
temporelles, mais surtout spatiales du questionnement. En somme, du principium, origine spéculative, nous
passons avec Proclus à une origine géographique et de localisation, sans pour
autant abandonner l’approche de commencement historique car, celle-ci se greffe
aisément sur celle-là.
Le cadre, on ne peut l’oublier est
celui de l’impérialisme grec depuis le VIII ème voire le IX ème
siècle ou même avant, un impérialisme qui a pour aire, outre les Etats et les Cités-Etats
grecs, tout le bassin méditerranéen ainsi que les côtes de la mer Noire ;
en tout cas, ce que les empires et royaumes assyriens, sémites et égyptien… du
moment laissaient à la domination grecque. Une colonisation qui ne fut en aucun
cas culturelle comme elle le sera plus tard après les conquêtes d’Alexandre Le Grand
et l’ère hellénistique. Comme toutes colonisations, celle-là aussi mettait en
contact des peuples et des cultures, générant ainsi des échanges d’idées comme
des façons de voir. Deux écoles se trouvent à la pointe de la réflexion sur ce principium ; l’une se trouve dans
les colonies d’Ionie et l’autre dans cet ensemble de colonies connues sous le
nom de la Grande-Grèce qui n’est autre que l’Italie d’aujourd’hui. La première
école s’est souciée surtout de la "nature", tandis que la seconde se
fixe les "intelligibles" comme objectif de la réflexion.
II - Le cadre : une géographie de l’innovation
spéculative.
Proclus est du 5eme
siècle après JC, très loin donc de ces philosophes qui nous intéressent ;
le paradoxe est que ceux-ci se sont libérés en quelque sorte de toute théologie
–Hésiode, Homère…- alors que Proclus, néoplatonicien, fut l’un de ceux qui
transformèrent le platonisme en une "dogma"
théologique structurée, voire rigidifiée, par les hiérarchies qui charpentent
cette pensée quasi religieuse. Pourtant, Proclus nous permet d’avoir une vue
d’ensemble parce que d’une part, il avait un recul de près de 10 siècles sur
une évolution continue de la pensée des origines jusqu’à son temps ; et
surtout, parce qu’il fut avec le néoplatonisme, dans le développement à travers
une multitude d’écoles de réflexion sur les questionnements initiaux et leurs
déploiements qu’il déroule à partir de l’œuvre de Platon, notre source la plus
importante, avec les écrits d’Aristote. Proclus est donc bien placé pour
proposer une origine spatiale tout en étant spéculative à la question des
présocratiques.
Le principium du questionnement s’origine donc en ces deux lieux
différents, avec des préoccupations spéculatives différentes également pour une
même interrogation à partir de la méditation sur le monde –le kosmos- et sur l’homme.
Une remarque d’ordre général qui
vaut pour l’ensemble des présocratiques, c’est le fait qu’on ne connait pas d’eux
de corpus complets de leurs écrits qui soient disponibles. Nous avons seulement
des fragments de ces écrits à notre disposition, ainsi que des témoignages et
des commentaires que leurs héritiers ou contradicteurs, à commencer par Platon
et Aristote, nous ont laissés sur eux.4 Il est donc difficile dans
beaucoup de cas de démêler les éléments de leur vie et leur pensée, des
légendes et mythes qui courent sur leurs vies et sur leurs œuvres, c’est-à-dire
de ce que les contradicteurs et continuateurs voudraient qu’ils soient.
L’école
ionienne.
L’école ionienne a orienté sa
réflexion sur la nature, d’où
l’appellation de philosophes de la nature qui fut donnée aux penseurs de cette
école ; on dit qu’ils sont physiologues
en référence à "physiologia"
ou philosophie naturelle, celle qui porte sur l’étude des choses sensibles. Cette école est encore appelée milésienne, de la
ville de Milet en Ionie, ville dont Thalès était originaire, lui qui passe pour
être le fondateur ou l’un des premiers maîtres à penser de cette école. En
effet, outre le fait d’être compté parmi les 7 sages, Thalès passe pour avoir posé
par son questionnement et sa réflexion, les fondamentaux qui sont attribués à
cette école, à savoir : quelle est
la nature intime de ce qui existe ? Ou, plus fondamentalement, qu’est ce qui existe par rapport à
soi ? On parle des philosophes
milésiens. En fait, deux villes, Milet et Ephèse, abritaient ou bien
sont les berceaux des porteurs des idées des physiologues.
L’école
italienne.
Ici,
la préoccupation porte sur les "espèces
intelligibles", notamment sur les nombres
avec Pythagore et les pythagoriciens au départ de Crotone. Il y a aussi les éléates de la ville d’Elée. Notons que
Pythagore est d’origine ionienne, précisément de la ville de Samos ! La
réflexion de l’école italienne est centrée sur les nombres d’où on passe aux
idées puis aux formes et enfin
aux réalités. On fait ainsi des
nombres, une entité spirituelle des origines qui vont évoluer vers la réalité
sensible en passant par le pair et l’impair, considérés, l’un comme limité et l’autre comme illimité.
Une
confluence : Athènes et la mère-patrie.
Les éléments de cette géographie
confluent en un même point : Athènes. En effet, que ce soit l’Ionie ou
bien l’Italie – la Grande-Grèce- il s’agit de colonies, la mère-patrie joue un
rôle central, celui de point de mire. En fait, la dispersion des origines
du questionnement dépasse ces trois centres, car outre l’Attique avec Athènes
et Thèbes, il y a Sparte et Abdère ; toutefois, c’est bien Athènes qui va
jouer le rôle phare, celui de point de mire ; un phare qui semble tout
attirer et où se faisait la synthèse, mais surtout, qui fixait les conditions d’intégration du
questionnement et ses solutions aux nécessités du vivre ensemble selon les
règles de la cité, selon les règles d’Athènes ; et cela, quitte à
condamner sans hésitation tous ceux qui s’écartent de sa vision aussi bien
philosophique que politique. C’est là, la vision politique, un autre point qui
est commun à tous ces centres, un point qui ne dissocie jamais la spéculation
philosophique et l’art de conduire sa vie. De fait, la spéculation est au
service du "comment bien vivre" ; elle est au service de la vie
bonne, c’est-à-dire : nourrir son corps et nourrir son esprit, ce dernier
devant passer par le logos.
Voilà donc pour le cadre.
III – Le questionnement.
Les fondamentaux.
Avec le cadre ainsi
posé, avec la spécificité de ses deux principaux éléments que sont l’Ionie et
la Grande-Grèce –l’Italie- et avec enfin la synthèse athénienne, on peut se
pencher sur le questionnement multiforme qui occupait les esprits. Le
questionnement parait multiple, en apparence en effet, comme il parait trop
simple de considérer la seule nature, c’est-à-dire la matérialité physique d’un
côté et l’essence intellectuelle, c’est-à-dire la spiritualité, de l’autre. Il
s’agit en fait de décrire et d’expliquer avec un outil adéquat ;
décrire et expliquer tout en mettant en place par tâtonnements, par intuitions
fulgurantes, audacieuses ou non, l’outil qui permet d’y parvenir.
Dire par exemple que Thalès,
Anaximandre et Héraclite pour l’école ionienne, ont étudié la nature et les
œuvres de la nature présuppose que cette étude est conduite pour répondre à une
question au moins, une question primordiale ; il semble que cette question
unique soit celle-ci : de quoi est
faite la nature ? avant même de se pencher sur les questions
subsidiaires telles que le comment et
le pourquoi. Mais ici, ce "quoi" s’intéresse en principe uniquement
à la "nature" ; en d’autres termes, ces philosophes supposaient
que la nature observable dans son extrême variété est en fait, un agrégat
d’éléments plus simples ; ce qui veut dire que de proche en proche, en
partant du sensible, on doit arriver à ce principium,
l’archè, d’où tout doit découler. Cet
archè, Être, est indépendant des dieux ; ce qui veut dire également que
pour ces philosophes, les mythes ou la poésie, ou même le fait religieux, voire
la théologie, ne répondent pas au questionnement, mais que ces éléments gèrent
seulement le possible de l’homme. La
réponse du mythe comme celle de la théologie cesse dès lors, d’être le paradigme
qui ouvre sur la phusis et sur
l’univers, le kosmos. Ainsi, le
questionnement s’attache à pénétrer l’énigme de l’univers, à savoir :
comment est arrivé ce qui Est. Il s’agit donc de comprendre et d’expliquer les
origines sans s’occuper des dieux comme réponses.
A côté de la séparation entre dieux
et hommes, on va voir apparaitre une autre distinction, une distinction entre
les diverses formes des éléments ; en particulier, une distinction entre
éléments solides et éléments atmosphériques. De là, à concevoir une force organisatrice qui met en œuvre la
matière, il n y a qu’un pas qui fut vite franchi, et qui va conduire à la
définition, puis à la recherche d’un archè.
Il s’agit donc d’une marche de l’esprit de l’homme qui commence par la
construction des mythes, quelle qu’en soit la forme, et qui se poursuit par
tâtonnements avec les philosophes présocratiques vers ce qui peut fonder l’Être,
à commencer par la "nature" avant de se pencher sur l’homme.
Ce sont là, les premiers éléments
du questionnement que peut résumer l’interrogation : de quoi tout est venu ? Et là, nous observons une première
divergence à travers la réponse ; en effet, pour les uns, l’école d’Ionie,
c’est la matière sensible ;
tandis que pour d’autres, l’école d’Italie, la réponse est une sorte de
mystique qui n’a plus rien à voir avec les mythes et les dieux ordinaires, mais
elle reste spirituelle avec une
pratique initiatique, c’est le cas du pythagorisme dès son origine.
De quoi est fait ce qui existe
avons-nous retenu pour le questionnement, mais ici ce "quoi" est plus
complexe, car il s’agit de décrire et d’expliquer la nature en la différenciant
de la technique, la technè,
c’est-à-dire en la différentiant de l’art. La décrire suppose d’en proposer le principium. L’expliquer suppose
d’une part, que sa complexité résulte d’un parcours entre ce principium et les
choses de la nature telles qu’elles se présentent à nous, telles que nous
pouvons les observer, les imaginer, voire, tenter de les imiter. Ce qui peut se
résumer, d’autre part, en soulignant :
Que
l’univers est structuré malgré le désordre et son foisonnement apparents.
Que
la pluralité de la structure visible cache une unité fondamentale à sa base.
Que
la structure de l’univers et son unité peuvent s’expliquer par des mécanismes internes
et autonomes qui sont accessibles à l’homme indépendamment des dieux ;
des dieux qui dès lors, deviennent de simples fonctions qui traduisent des
évènements conceptualisés, ou non, de la nature, et non plus comme des
puissances ou des potentialités divines. Dès lors, le domaine de la religion
est seulement le divin vu du côté humain, tandis que la description et
l’explication de la nature –la science- ne doivent pas relever de ce domaine.
Que
l’homme est par nature doté des outils qui lui permettent de réaliser
cette description et cette explication ; au premier rang de ces outils,
les philosophes présocratiques placèrent le logos, entendu comme pensée ;
ensuite, viennent les capacités des sens.
Que cette description et
cette explication ne relèvent pas de la dogma
–qui est du domaine religieux- mais de la doxa ;
c’est-à-dire que ce sont des doctrines qu’il faut dès lors fonder, et qui
restent ouvertes à la discussion, à la controverse et à la contestation, toutes
attitudes qui sont porteuses de sens. En d’autres termes, la description comme
l’explication, doivent s’inscrire dans le système de penser et selon les lois
de la pensée de l’homme, être rationnel. D’où, il est impératif de ne pas faire
de la réflexion et des conclusions qu’on en tire un dogme ; c’est là
aussi, l’un des apports des philosophes présocratiques, et ce n’est pas le
seul !
Ces différents éléments vont
imposer un langage qui soit en mesure d’en rendre compte et de rendre compte également
des débats par lesquels passent les idées autour des concepts ; il en est
ainsi du concept d’univers : le kosmos,
de celui d’un principe de base : l’archè,
ou encore de celui de l’outil par lequel tout doit pouvoir s’opérer, la raison,
c’est-à-dire le logos, sans parler de
la nature : la phusis.
Des
concepts cardinaux ou pivots.
Dès lors que le muthos et les dieux sont écartés, le
questionnement doit inventer un autre parcours qui puisse structurer sa
démarche. Ce parcours va entrainer une subdivision, ou mieux : une spécialisation à travers des domaines
d’étude tels que la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, l’étude des météores,
la botanique, la zoologie… et bien sûr, l’homme
qui devient ainsi un objet d’étude et de réflexion au même titre que n’importe
quel constituant de la phusis. L’homme
en tant qu’individu, mais aussi l’homme en tant qu’être social. Mais, cette
spécialisation avant l’heure ne se substitue pas aux questions de base telles
que la genèse de l’univers, sa constitution et son développement, ou encore les
questions sur l’homme, sa place et son rôle dans l’univers.
On peut noter que ce parcours
spécialisé semble emprunter à la mythologie, si on considère que chaque
divinité de celle-ci n’est qu’une fonction. Dès lors, on peut en conclure que
la-aussi, il y a une "spécialisation"
à travers le rôle qui est assigné à chacune d’elle.
En résumé, décrire et expliquer
avec l’unique outil qu’est la raison humaine, est une démarche qui s’appuie sur
quelques concepts ; il en est ainsi du logos,
du kosmos, de l’archès, et bien sûr de la phusis.
La phusis.
Que le concept de phusis se différencie de l’art comme
nous l’avons dit plus haut ne suffit pas à le cerner ; en effet, la phusis telle que l’envisageaient les
philosophes présocratiques est d’abord une dynamique,
c’est l’observation qui oriente la pensée vers cette manière de voir, car, la
nature possède semble-t-il, un principe
de développement interne et autonome. L’observation
permet de constater que les objets de la nature changent, ils croissent et
décroissent sans que l’homme soit amené à intervenir (au contraire de l’objet
d’art, la tèchnè dans lequel cette
dynamique autonome est absente.)
Par ailleurs, la nature peut se
concevoir sous au moins deux aspects ; elle peut se concevoir comme un objet, par exemple la pluie ; mais
elle peut se concevoir aussi comme une propriété,
par exemple quelle est la nature de l’homme. Dans ce dernier sens, il s’agit d’accéder à l’essence des choses,
essence qui fonde leurs propriétés. Il apparait ainsi que décrire et expliquer
doit s’appliquer aux deux aspects de la phusis ;
cela doit s’appliquer aux deux concepts de nature.
Le
kosmos.
Le concept d’univers qui est rendu
par kosmos est en soi un programme. C’est un système
dynamique également, comme le concept de nature, car kosmos suppose à la fois de l’ordre
et de l’esthétique ; c’est donc
un système dont la structure est
ordonnée, c’est-à-dire que c’est un concept qui exprime un aspect de la rationalité qui est accessible à
l’homme par constitution. Mais, il faut comprendre qu’il s’agit de ce que nous
appelons aujourd’hui "cosmologie",
c’est-à-dire une connaissance d’ordre scientifique, et non de "cosmogonie", une connaissance
d’ordre philosophique et religieux.
La raison humaine peut donc
s’appliquer à ce kosmos-là, pour tenter de le comprendre pour pouvoir le
décrire et l’expliquer ; c’est donc son aspect "nature". Mais, c’est
aussi un système qui s’adresse à l’émotivité
de l’homme, là aussi par constitution ; il s’agit d’une donnée
ontologique ; il s’agit d’un système qui s’adresse à son esprit qui y
trouve de l’esthétique. On peut
comprendre qu’ainsi, le concept de kosmos
relève à la fois de la phusis mais
aussi de la spiritualité. En somme,
nous nous situons là aussi dans le nourrir son corps et le nourrir son
esprit !
Le
logos.
A première vue, c’est l’outil de
choix tant pour décrire que pour expliquer, car, c’est le logos qui est
l’interface entre l’homme et le questionnement. Il est également l’interface entre
l’homme et l’objet de sa réflexion. C’est un outil qui servait déjà au muthos que ce soit avec Homère ou bien
que ce soit avec Hésiode ; mais, au fait de raconter qui était un des sens
premiers du terme, les philosophes présocratiques ajoutèrent une autre
dimension, ils en firent un concept
pivot autour duquel la vie peut et doit s’organiser. Il ne s’agit donc plus
de ce dont on parle, ni même de ce que l’on dit, le logos s’inscrit entièrement
dès lors dans le mécanisme de description et d’explication en exigeant d’aller
jusqu’au pourquoi et au comment de ce qui est proposé par la seule raison
humaine s’appuyant, s’il le faut, sur l’observation comme point de départ. Il
s’agit donc d’avancer un mécanisme, un mécanisme de justification par le biais
de la seule raison et de l’essence des choses à travers leur dynamique propre.
Avec le recul, on se rend compte
que le logos ainsi conceptualisé est sensé prendre la place qu’occupaient les
dieux dans l’explication du monde et de la vie des Êtres ; il joue un rôle
moteur qui nous permet d’appréhender le réel ; et dans cette optique, la
raison comporte une dynamique –là aussi- une dynamique interne que l’homme peut
programmer et mettre en œuvre ; c’est aussi une approche pédagogique.
L’archè.
Ce concept dérive directement du
questionnement sur l’origine des choses, origine comme principium avec les deux sens qui sont évoqués par Gadamer dont
nous parlions plus haut ; mais ici, nous lui trouvons une dimension
supplémentaire qui s’ajoute à "origine" comme matière sensible, elle s’ajoute aussi à "origine" comme
commencement du déploiement. Il ne
s’agit pas seulement en effet d’un "élément de base", car il ne
semble pas qu’il s’agisse de ce que nous, nous entendons aujourd’hui par
matière ou bien par substance. Il faut voir ce concept comme enfermant une potentialité dynamique, là
encore ! Archè prend tout son
sens avec cette potentialité dynamique qui seule autorise qu’on puisse aboutir
à tout existant dont il est archè justement ; c’est-à-dire : aboutir
aux résultats qui peuvent être issus des deux sens de principium, autant dire l’Être.
Il s’agit donc d’un concept qui englobe non seulement un "point"
initial et un "point" de départ, mais il englobe aussi un devenir, et donc un développement. Nous avons dans ce
concept l’idée de déroulement, de variabilité, et en un certain sens, d’évolution ; déjà ! Il s’agit
donc de "quelque chose" que les philosophes présocratiques voyaient
comme une potentialité, qui doit être unique,
qui ne doit pas être périssable et
qui donc, se situe bien au-dessus des divinités du muthos, un "quelque chose" dont le déploiement conduit à
la phusis…
Innovation.
On ne peut donc pas cantonner les
penseurs présocratiques au seul domaine de l’étude de la nature ou à la
recherche de l’archè. Plus que des phusikoi,
ce sont les considérations qu’ils ont mises en avant pour fonder leur réflexion
et leur action qui, de loin, signent leurs apports dans le domaine de la
pensée, et donc du vivre. On comprend donc que bien que les écrits de ces
penseurs soient irrémédiablement perdus, à part les quelques fragments et
commentaires qui nous soient parvenus, les philosophes présocratiques méritent
le retour sous les feux de la rampe que constituent les études qui leur sont
consacrées depuis 2 à 3 siècles pour nous permettre d’aller plus avant dans la
compréhension des fondamentaux de leur pensée. Des fondamentaux qui débouchent
sur tout ce que depuis, nous pouvons concevoir comme objet et comme objet de
pensée ; ce furent ainsi des maîtres de l’innovation.
Innovation dans l’approche de la
nature subdivisée en domaines de spécialisations, approche que nous avons
adoptée puis amplifiée. Il en est ainsi par exemple de ce que nous désignons
aujourd’hui du terme générique de mathématiques ; dans ce domaine précis, à
l’époque des présocratiques, Babylone, l’Egypte, l’Inde ou encore la Chine,
avaient des connaissances et savaient les mettre en œuvre dans la pratique
; mais, ce sont les premiers philosophes présocratiques qui, à travers Thalès,
Pythagore et quelques autres encore, ont donné une dimension intemporelle et universelle à cette
branche du savoir par leurs réflexions qui débouchèrent sur les théorèmes qui
portent leurs noms, et qui ouvrirent ainsi la voie au concept de conjecture, toujours utilisé en
mathématiques de nos jours.
Innovation fondée sur l’observation
conçue comme une nécessité purement humaine sous la bannière du seul logos. Innovation
en fondant une théorie de la connaissance qui se sépare de la dogma comme paradigme, pour proposer une
démarche méthodologique que Platon déploiera en partie dans le Phédon par
exemple. Innovation encore quand, au rayon de la métaphysique –le nourrir son
esprit- l’âme est posée comme objet de questionnement et d’étude pour fonder l’Être comme une totalité. Innovation
toujours, qui, revenant vers les dieux, déployés cette fois comme propriétés, propose
un autre regard, un regard conceptuel sur la théologie en faisant émerger le
concept de l’UN ; un concept
totalement différent de ce que jusque-là, on considérait comme divinité. Ainsi,
Xénophane dit : "Il y a un seul
dieu, le plus grand des dieux et des hommes qui ne ressemble aux mortels ni en
figure ni en pensée". Peut – on trouver mieux pour affirmer la
transcendance et le dualisme religieux ?
IV- Les acteurs.
Nous ne pouvons pas
faire une étude exhaustive de tous les philosophes présocratiques, une telle
étude dépasse largement le cadre de mon propos qui est de dégager une vue
d’ensemble du commencement. Cependant, nous allons brosser succinctement les
éléments distinctifs de quelques-uns d’entre –eux, ceux que nous pouvons
considérer comme incontournables eu égard à leurs idées et à leur influence. Il
est nécessaire de faire cette revue, même partielle, car, on observe de grandes
différences entre les façons dont chacun précise sa pensée et sa démarche dans
le déploiement des fondamentaux que nous venons de décrire, et qui exclut tout
anthropomorphisme chez tous. En effet, l’homogénéité apparente qui peut se
dégager de la façon dont j’ai abordé le questionnement cache une grande
dispersion aussi bien dans le contenu que dans l’expression chez chaque
philosophe, précisément parce que nous sommes dans l’ordre de la doxa. Les
philosophes présocratiques n’ont pas édicté des dogmes, mais au contraire, ils
ouvrent la voie de la liberté à la pensée ; une liberté qui peut aller
très loin quand viendront les sophistes, notamment dans leur conception de la
finalité de cette liberté, avec comme conséquence, une redéfinition des moyens
et des façons de la mise en œuvre. C’est précisément à cette redéfinition et à ses
conséquences que Socrate s’opposa.
Notons enfin que ces acteurs
inaugurent également un autre aspect de leur démarche, un aspect que nous
retrouverons par la suite chez leurs continuateurs ; il s’agit du fait que
leur réflexion n’est pas conduite pour ainsi dire "à vide", mais
qu’elle s’intègre entièrement dans la vie de la cité, en cela qu’elle
s’articule autant sur la liberté ontologique de l’homme que sur la gouvernance
de ses sociétés. Cette préoccupation se retrouve dans de nombreuses écoles
philosophiques héritières de Socrate et des présocratiques dont l’ambition fut
de proposer des modes d’existence dont la base est faite de choix philosophiques ;
c’est le cas par exemple des ciniques, des épicuriens ou encore des stoïciens.
C’est là, une préoccupation que nous allons retrouver chez tous les philosophes
présocratiques, exprimée cependant, avec une intensité très variable ; une
préoccupation à laquelle Socrate, Platon et Aristote donneront une dimension
universelle à défaut d’être consensuelle.
Thalès
Thalès est considéré généralement
comme le premier des philosophes qui nous intéressent. Il était de Milet en
Ionie. Il est compté au nombre des sept
sages, en particulier, à son "noyau dur" de quatre noms :
Thalès, Pittacos, Bias et Solon. Dans ce rôle de sage, Thalès apparait comme
législateur et comme pédagogue, au service de la cité donc. La doxographie lui
attribue les préceptes suivants5 dans ce rôle de sage :
"Si tu commandes, gouverne-toi toi-même" "N’embellis pas par ton extérieur ;
c’est par ton genre de vie qu’il faut t’embellir" "Apprends et enseigne ce qui vaut le mieux".
Thalès serait né vers 625 av. JC et
serait mort vers 547 av. JC. On compte à son actif la mesure de la hauteur
d’une pyramide en se servant de la longueur de son ombre ; on lui attribue
également la détermination de la distance d’un navire au large, en mer par
rapport rivage. Quant au kosmos et à
l’archè, pour Thalès, c’est l’eau, l’eau primordiale, qui conduit
physiquement à la terre, à l’air et au feu, d’où ensuite, tout serait issu. La préoccupation est donc de trouver
–proposer- l’origine des choses qui serait le principium ; trouver,
c’est-à-dire remplacer l’explication mythique et mythologique par une démarche
explicative physique à l’aide de la raison et de l’imagination. C’est là, le
fondement de l’action de Thalès en arithmétique, en géométrie et en astronomie
puisqu’il passe pour avoir prédit une éclipse solaire qui se produisit pendant
les guerres médiques. Notons qu’il n’est pas encore question de démonstration,
mais nous sommes déjà dans la pensée déductive comme démarche de connaissance.
Autres
ioniens de Milet : Anaximandre et Anaximène.
1 —Le premier, Anaximandre, ~ - 610 - ~ -547, aurait écrit un traité, perdu,
"Sur la nature" ; on
dira qu’il fut le premier à "ouvrir les portes de la nature". Pour
lui, l’origine de toute chose est l'ἀπειρον - l’apeiron-, c’est-à-dire : l’"illimité" ; l’infinité en tant que matière infinie,
conduisant ensuite à tout ce qui existe. En tant qu’infini, l’apeiron, est une force invisible à l’homme, et qui n’a pas de principe dont il
serait issu ; il est donc origine
sans origine. Ainsi, l’apeiron est illimité, indéterminé, inengendré,
principium de l’Être… La pensée d’Anaximandre va se déployer dans pratiquement
tous les domaines de connaissance de son époque, y compris d’avoir conçu une
infinité de mondes naissants et disparaissant dans le temps et l’espace infinis
qui sont des attributs de l’apeiron ; nous sommes plus de 2000 ans avant
Giordano Bruno et sa multitude des mondes. Ainsi, pour Anaximandre,
"Ce dont la génération procède pour les choses qui sont, est aussi ce
vers quoi elles retournent sous l’effet de la corruption, selon la
nécessité ; car, elles se rendent mutuellement justice et réparent leurs
injustices selon l’ordre du temps"6.
En somme, il s’agit d’un éternel
retour dont le mécanisme ne doit rien à l’homme, un mécanisme qui fonctionne
éternellement.
Par rapport à Thalès, nous avons
une approche dont la base est l’abstraction, fille directe de la conceptualisation
à l’origine de la pensée. Il s’agit ainsi d’un apport considérable du
philosophe Anaximandre ; la démarche ainsi initiée ira en s’amplifiant à
travers ses successeurs, y compris les pythagoriciens sans parler de Platon et
d’Aristote.
2 — Le second, Anaximène, ~-585 - ~-525, serait disciple et ami du premier ;
cependant, la démarche est différente, non pas dans son principe ni même dans
sa cosmogonie, mais elle retient un autre élément dans le rôle de l’archè ; Anaximène retient
"l’air" en effet comme principe des choses. Il s’agit d’un archè
indéterminé et en mouvement, d’où tout provient et auquel tout retourne ;
on retrouve là, une idée essentielle d’Anaximandre.
Héraclite.
Nous sommes toujours en Ionie, mais
nous changeons de ville ; de Milet, nous passons à Ephèse, la ville d’où est
originaire Héraclite et où il a vécu. Héraclite - -567 et -480 AJC est issu d’une
famille sacerdotale, on comprend que l’expression de sa pensée paraisse
sibylline très souvent. Il renonça aux honneurs qui étaient attachés à la
fonction de prêtre. Autodidacte, dit-on, Héraclite se serait appliqué le
"connais-toi, toi-même". On le disait solitaire, irascible,
méprisant, voire orgueilleux. En fait, plus que de s’opposer à tous ses
compatriotes, c’est sans doute l’ignorance des hommes qui le désolait ; de
là, à le dire "incompréhensible", -n’est-ce-pas le sens du surnom
d’obscur qui lui fut donné ?- ses contemporains et ses commentateurs par
la suite n’y ont pas manqué. Héraclite avait une opinion très tranchée sur l’homme,
celle-ci s’articule sur le logos ; ainsi :
"Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant
qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois.
Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune
expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur
nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas
plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils
ont fait en dormant." Et "Aussi faut-il suivre le (logos)
commun ; mais quoiqu’il soit commun à tous, la plupart vivent comme s’ils
avaient une intelligence à eux."7
C’est comme si Héraclite assimilait
le logos à la vérité ; ou encore, comme s’il considérait que l’homme dans
son action de connaissance, aborde les choses comme il voudrait qu’elles soient et non comme elles sont en réalité. Cette réalité du monde, c’est le mouvement, mais plus que le mouvement,
c’est l’écoulement des choses, une impermanence permanente,
continuelle, infinie et éternelle. Tout devient ; c’est là que se situe
la réalité du monde selon Héraclite ; c’est du monisme. Ainsi :
"Ce monde été fait, par aucun des dieux ni par aucun des hommes ;
il a toujours été et sera toujours feu éternellement vivant, s’allumant par
mesure et s’éteignant par mesure." 8
Nous avons un monisme dans lequel aucune déité n’a de place, les dieux étant de
l’ordre de la fonctionnalité et non plus de la déité. Mais, il s’agit d’un
monisme dont le mécanisme de fonctionnement, qui en est la conséquence, part du
feu. En effet, pour Héraclite, le feu est l’élément primordial, l’archè. Nous trouvons ainsi deux idées de
base chez Héraclite :
Le
feu comme archè, qui "ne se
repose jamais".
L’impermanence qui maintient tout par un
mouvement continuel dont le mécanisme de fonctionnement est la "discorde",
c’est-à-dire l’interaction des opposés ; aujourd’hui, on dirait la
dialectique !
En somme, chaque chose est et n’est pas ; chaque chose
est donc elle-même à un moment donné, et son contraire au même moment !
Héraclite suggère une tension entre des opposés, tension qui est le moteur de
l’écoulement des choses. L’harmonie, car le monde est harmonieux, malgré cette
tension permanente vient du fait qu’il y a "unité des contraires" ; On pense au Tao ! C’est
cette unité que les hommes ne comprennent pas selon Héraclite :
"Ils
ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s’accorder.
L’harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc." 9
Ou encore :
"Ce n’est pas à moi, mais au logos qu’il est sage d’accorder que l’un
devient toutes choses." 10
Enfin, si le feu est l’élément primordial, il doit selon Héraclite devenir humidité, qui elle, donne naissance au monde ; mais, feu, humidité… relève
du logos et non des sens :
C’est donc essentiellement de
l’ordre du conceptuel qu’il
s’agit !
Pour résumer, l’archè est le feu pour Héraclite ; mais il
s’inscrit dans une impermanence qui
résulte de l’interaction continuelle entre Être et Non-Être, conçus comme
contraire l’un de l’autre ; une interaction qui est mise en mouvement par un logos, connaissance
vraie, mais qui est étrangère aux hommes. On comprend qu’Héraclite soit
impitoyable pour Homère, Hésiode, Pythagore… et pour bien d’autres encore.
Héraclite avait conscience d’être
remarquable ; était-il au-dessus de tous les autres ? peut –être pas,
mais en tout cas, il en avait conscience, d’où son mépris.
Une question demeure : l’Être
est-il le contraire du Non-Être ? Parménide répondra non, en ne retenant
que l’existence de l’Être.
Pythagore
-
571 — - 495 (d’autres dates sont proposées)
Après l’Ionie, nous nous
intéressons à la Grande-Grèce, l’Italie avec Pythagore ; bien qu’il soit
né à Samos en Ionie, c’est en Italie que sa réputation fut établie. Pythagore est
considéré par l’opinion générale plus comme mathématicien que comme philosophe,
c’est oublier que pendant longtemps, l’un ne va pas sans l’autre. C’est
davantage dans l’approche philosophique de la connaissance que se place la
recherche de Pythagore et des pythagoriciens sur les nombres. Il se définit
lui-même comme philosophe et passe pour l’inventeur du terme philosophe ; mais surtout, il passe
pour être le fondateur des "mathématiques", en particulier,
l’arithmétique, alors que la primauté de l’approche géométrique est reconnue à
Thalès.
Comme Thalès et comme Héraclite,
Pythagore voyagea en Egypte (20 ans) et à Babylone, (12 ans) en Phénicie et en
Inde ( ?) où il s’initia à tout ce qui était disponible comme connaissance
de l’époque ; en particulier, il se forma ainsi aux secrets des nombres.
Au terme de ses voyages, il revient à Samos, mais il doit s’isoler loin de la
ville pour des raisons politiques. Il engage un élève en le payant11
pour suivre son enseignement sur les nombres ! Cet élève payé, prend
rapidement gout à l’enseignement de Pythagore, et quand celui-ci, pour
s’assurer du réel intérêt de l’élève pour ce qu’il apprend, lui annonce qu’il
n’a plus les moyens de le rémunérer, celui-ci –on dit qu’il s’appelait
Pythagore aussi- choisit de payer le maître à son tour pour pouvoir continuer à
s’instruire ; ce fut son premier adepte.
Pythagore dut s’exiler en
Grande-Grèce, l’Italie ; il s’installa à Crotone et y fonda une
fraternité. Plus qu’une école, ce fut une assemblée ésotérique dans laquelle on
ne pouvait entrer que par cooptation et après avoir fait le serment de ne rien
révéler des découvertes faites par la confrérie, sinon, il y allait de la vie
de l’adepte. De fait, on avait à faire à une confrérie quasi religieuse dont la
divinité est le nombre. Ici, point de
dogme, la recherche doit faire la lumière sur tout ce qui tourne autour des
nombres qu’ils soient entiers ou fractionnaires, c’est-à-dire, les nombres
rationnels. La communauté de Crotone s’intéressa en particulier aux diviseurs
d’un nombre donné et aux relations qui peuvent exister entre le nombre
considéré et ses diviseurs ; cela amena Pythagore à distinguer[1] :
Les
nombres excessifs ou abondants, (ceux dont la somme des
diviseurs est supérieure au nombre considéré, par exemple : 18 avec
1+2+3+6+9 = 21 >18).
Les
nombres parfaits, (ceux dont la somme
des diviseurs est égale au nombre considéré ; par exemple : 6 avec
1+2+3 = 6)
Les
nombres déficients, ceux dont la
somme des diviseurs stricts est inférieure au nombre considéré, par
exemple : 8 avec 1+2+4 =7 < 8).
La seconde catégorie est la plus
rare, on en connaissait 4, et aujourd’hui 48 seulement, dont 42 sûrs. C’est
cette catégorie qui avait semble-t-il impressionné Pythagore. Le champ de
réflexion de la confrérie est très étendu en considérant les relations qui
peuvent exister entre les nombres ; la confrérie se rendit compte qu’il y
a une relation entre les nombre et la nature, par exemple les sons ; dès
lors, la musique aussi devint un domaine de recherche en liaison avec les
nombres. Pythagore trouva ainsi une corrélation
entre nombres et phénomènes physiques naturels. De là, à considérer que
"tout est nombre", il y
avait qu’un pas qui fut vite franchi, cela se conçoit sous l’angle ésotérique
et mystérieux habituel de la confrérie.
Si tout est nombre, le nombre doit
provenir de l’Un primordial ;
ceci est une nouveauté qui fut la marque de l’école italienne. Par rapport à
l’école ionienne, l’origine des choses, l’archè, n’est plus à rechercher dans
l’ordre matériel physique. En conceptualisant cette origine, l’Un donne les
nombres qui conduisent au monde physique ; c’est donc l’Un qui est le principium. Mais, ici, l’Un est associé
à deux principes qui sont le "pair" et l’"impair", deux principes qui
expliquent l’extraordinaire dynamisme des nombres. C’est donc à partir de
l’étude des nombres que Pythagore et son école sont remontés à l’origine des
choses qui pour eux est l’Un en deux
principes.
Il s’agit de fait d’un dualisme ! Un dualisme, car en
ajoutant l’Un au Pair, on obtient l’Impair, et en ajoutant l’Un à l’Impair, on
obtient le Pair. Le dualisme de l’Un vient du fait qu’il participe ainsi de la nature du pair comme il participe de la nature de l’impair, qui eux-mêmes gouvernent
les nombres et la phusis ; mais l’Un n’est ni le pair ni l’impair.
Pythagore propose ainsi un archè d’ordre
spirituel. Nous avons cependant des questions :
Ce qui existe, a-t-il les nombres
pour matière ?
Les nombres sont-ils des substances
sensibles ou corporelles ?
Le nombre est-il le médiateur par
lequel nous accédons à toute réalité sensible ?
Empédocle. -484 — -424
Nous restons en Italie avec Empédocle qui vécut à Agrigente dans la Sicile actuelle. On dit de lui 12 qu’il était thaumaturge, c’est-à-dire magicien, mais aussi ingénieur, philosophe, poète ; c’était un démocrate convaincu et un maître de rhétorique. La vie du personnage semble difficile à cerner, y compris les circonstances de sa mort, et cela, depuis l’antiquité déjà.
C’est sans doute avec Empédocle
qu’on commence à percevoir le mieux les conséquences du fait que les
philosophes présocratiques se soient éloignés de toute dogmatique absolue. En
effet, Empédocle mit à profit son intelligence extrême pour bâtir un système original
des choses et du monde en s’appuyant très largement sur les idées et les
concepts qui sont développés par Pythagore, Héraclite, Parménide et sans doute
aussi, par quelques autres penseurs qui étaient ses contemporains ou ses précurseurs.
Pour notre propos, l’Être,
Empédocle en reconnait la permanence
et considère que le réel est issu de quatre éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu ;
c’est la fameuse "théorie des quatre éléments" qui fut en
vigueur jusqu’à la naissance des sciences modernes. Selon cette théorie, tout
ce qui existe est une combinaison de ces quatre éléments dont seules varient
les proportions pour expliquer les variétés du monde observable. Au
commencement, il y a le "sphérus",
c’est l’ensemble des quatre éléments unis par l’Amour ; intervient ensuite la Haine ou la Discorde qui
sépara les éléments ; dès lors, le mécanisme est en place, qui, piloté par
l’Amour et la Haine, anime les éléments pour donner naissance au réel dans sa
multitude en passant par des phases d’association et de rupture. Ces phases
pouvant concerner les quatre éléments ensemble ou seulement quelques-uns
d’entre eux. Ainsi, pour Empédocle l’archè
serait constitué de quatre éléments qui relèvent du sensible auxquels il
associe deux forces l’amour et la haine. La faculté de penser, comme le
spirituel, relèverait du cœur et des quatre éléments.
Empédocle a construit une
cosmogonie à partir de ce qui selon lui est l’archè, les quatre éléments ;
il s’est intéressé à l’histoire naturelle y compris au mode d’apparition des
êtres vivants.
Si Empédocle n’hésitait pas à
emprunter à ces devanciers et à ses contemporains, il en est ainsi de la
théorie de transmigration des âmes –la
métempsychose- qui vient de Pythagore et des pythagoricien, il influença
ceux qui viendront après lui, y compris Platon et bien sûr, la pensée
philosophique et scientifique dans son ensemble jusqu’à la fin du moyen âge.
Signalons enfin que l’un des
prolongements de la théorie des quatre éléments est le principe de la "force vitale" ; une force qui
était considérée jusqu’en 1828 comme indispensable pour former les substances organiques. Juste que là, on
considérait que seule la nature pouvait disposer de cette force et pouvait la
mettre en œuvre pour produire les substances du vivant. La synthèse de l’urée –substance organique déjà
connue- par le chimiste allemand Wöhler en 1828 résulte d’une erreur de
manipulation dont le résultat fut un mélange de produits qui, après analyse,
s’avéra contenir de l’urée ; ce fut donc un hasard ! L’importance
historique de cette découverte vient du fait qu’elle montre que la force
vitale est une fausse idée, et qu’elle n’est nullement indispensable pour
obtenir les substances d’origine organique. Ce fut le point de départ de la
chimie organique moderne, mais on n’en prit pleinement conscience que quelques
décennies plus tard, dans les années 1850. (La "force vitale" est la dernière
erreur dérivant du système d’Empédocle à tomber.)
"Wöhler est considéré comme le pionnier de la chimie
organique grâce à sa synthèse (accidentelle) de l'urée à partir
du cyanate d'ammonium en 1828. Cette découverte ouvrait la voie
à la biochimie puisqu'elle montrait qu'il est possible de produire en
laboratoire, sous conditions contrôlées et à partir de composés inorganiques,
un composé connu pour être seulement produit par des organismes biologiques.
Elle permit ainsi d'infirmer la théorie du fluide vital, énoncée vers 1600, et
qui était encore enseignée : c'était la fin du vitalisme. Wöhler est
considéré comme le fondateur de la synthèse organique. L'année de la synthèse
de l'urée, Wöhler devint professeur à l'âge de 28 ans." 13
Nous sommes en Grèce, plus
précisément en Thrace à Abdère, ville où Démocrite vécut selon nombre
d’auteurs. Démocrite (-460 — -370) est le continuateur de Leucippe (-500 —
-420), dont on peut seulement dire, comme pour certains auteurs, qu’il est du Vème
siècle avant JC. Démocrite était grand voyageur, l’Egypte, la Chaldée, la Perse…
furent les lieux de sa formation.
Pour les abdéritains, l’illimité est à l’origine des
choses ; l’illimité considéré comme une masse chaotique, comme dans l’approche d’Anaxagore de l’école
ionienne ; mais ici, tout intellect est exclu, et surtout, toute division
à l’infini ne peut être retenue non plus, car :
"Si tout corps est divisible à l'infini, de deux choses l'une : ou il ne
restera rien ou il restera quelque chose. Dans le premier cas la matière
n'aurait qu'une existence virtuelle, dans le second cas on se pose la question
: que reste-t-il ? La réponse la plus logique, c'est l'existence d'éléments
réels, indivisibles et insécables appelés donc atomes."
Mais aussi :
"Rien
ne vient du néant, et rien, après avoir été détruit, n'y retourne. Les atomes
se déplacent dans tout l'univers en effectuant des tourbillons et c'est de la
sorte que se forment les composés : feu, eau, air et terre."
La masse chaotique initiale se
présente sous la forme de particules infiniment
petites, invisibles pour
l’homme ; ce sont les atomes,
d’où le nom d’atomistes qui est donné
aux philosophes de cette école. Il s’agit donc essentiellement de matérialité. Les atomes sont animés par
le vide. Ainsi, dans le vide, les
atomes prennent différentes figures, se placent dans différents ordres et
positions, toutes choses qui expliquent l’infinie variété de ce qui existe dans
la nature. C’est donc une explication essentiellement matérialiste, les atomes
pouvant être vus comme des pièces de légo14
dont l’assemblage est variable à l’infini. Par ailleurs, chaque résultat
d’assemblage de tels ensembles peut être démonté pour libérer les atomes qui
sont ainsi conçus comme des briques. Toutefois, il faut préciser comment les
atomes en mouvement permanent sur des trajectoires parallèles peuvent entrer en
contact et s’assembler pour former un nouvel "être". La
réponse ? Ce sera la théorie du clinamen
élaborée par Epicure qui était l’un des théoriciens de l’école des atomistes,
en particulier quand l’atomisme servit à fonder un mode d’être au jour le
jour ; car l’épicurisme comme mode
d’existence est à la fois une théorie, "scientifique" de la phusis et du kosmos, mais également politique,
éthique et morale ; tout cela amène à considérer le bonheur comme le seul objectif de la vie, un bonheur qui
n’est possible qu’en éliminant les
désirs ; "l’esprit ne doit
pas être plus gros que la chair".
Ce sont les épicuriens, comme
Epicure, Lucrèce… qui vont préciser quelques siècles plus tard les modalités
qui gouvernent le mouvement des atomes :
ce sont :
La pesanteur qui préside à leur écroulement dans le vide
Le clinamen qui est une très faible déclinaison des trajectoires des
atomes et qui est à l’origine des chocs entre atomes.
Les chocs qui entrainent des interactions
entre atomes d’où naissent de nouvelles réalités et de nouvelles trajectoires.
Les idées de Leucippe, Démocrite,
Epicure et de leurs continuateurs sur l’archè, la phusis et le kosmos, à savoir
l’atomisme, attendront plus de deux mille ans avant d’être reconnues et
s’imposer avec éclats à partir de 1900, avec les déterminations scientifiques modernes
de la structure de la matière. Aujourd’hui, nous en sommes aux quarks et autres
leptons...
Parménide. L’école d’Elée
L’école d’Elée dont relève
Parménide (-540 — -470) serait fondée par Xénophane,
originaire de Colophon mais qui est venu s’installer à Elée, il passe donc de
l’Ionie à la Grande-Grèce. Pour Xénophane, il n’y a qu’un dieu qui est
éternel ; c’est donc un monothéisme ; ainsi15 :
"Il n’y a qu’un
seul dieu, maître souverain des dieux et des hommes, qui ne ressemble aux
mortels ni par le corps ni par la pensée.
Tout entier il voit,
tout entier il pense, tout entier il entend.
Mais sans aucun effort qu’il meut tout par la force de son esprit."
Outre ce monothéisme, que l’on peut
qualifier d’ontologique, parce que
Xénophane précise ce qui fait la déité, il ébauche également une théorie de la connaissance en cela
qu’il considère que la vérité est hors de portée de l’homme, la vérité
considérée comme une donnée certaine, voire scientifique ; seule demeure selon
lui, l’opinion qui conserve toujours
une part d’incertitude. Il s’agit donc de mettre en perspective la raison et les sens, et cela, de façon
plus nette et plus précise encore qu’Héraclite ne l’avait laissé entendre.
Voilà donc deux idées maîtresses sur lesquelles Parménide va enclencher sa
réflexion ; ce sont l’unité de l’être et la théorie de la connaissance.
Pour Parménide, l’Être est la seule réalité ; il
exclut toute idée de non-être,
simplement parce qu’on ne peut rien en
dire ! Car, si on pouvait en parler, il serait ; d’où, le non-être ne peut être. Par ailleurs, l’Un
est fini et permanent ; il est la substance des origines, le feu et la terre qui génèrent le monde sensible en proviennent, mais ceci est
secondaire.
"II n’est plus qu’une voie pour le discours,
C’est que l’être soit
; par-là sont des preuves
Nombreuses qu’il est
inengendré et impérissable,
Universel, unique,
immobile et sans fin."
C’est
avec Parménide que nous voyons le plus explicitement à l’œuvre, les dieux
fonctionnalisés, à l’œuvre comme n’importe quel outil ; la symbolique
demeure quand on lit le poème de Parménide. On peut en juger par l’analyse
qu’en propose par exemple Riccardo Di Giuseppe dans "le voyage de Parménide" 16.
Pas de non-être donc ; seul existe l’être ; l’être ne peut pas ne pas être, pas de pluralité ni de
mouvement ni de discontinuité en lui ; le kosmos est-ce Un. En d’autre
terme, ce que perçoivent les sens ne font pas l’être. Dès lors, deux voies s’offrent pour accéder à la connaissance ;
la voie de la vérité –qu’il faut
suivre, et c’est la raison, le logos,
qui est le guide- et la voie de l’opinion, la doxa, qui est
déconseillée, car elle est celle des
sens, incertaine et changeante, impossible à vérifier.
Monisme ou dualisme ? La
question peut se poser car, si seul
l’Être est réalité à travers l’Un, impérissable, inengendré, unique et sans
fin, et qu’il est la seule réalité possible, nous avons là un monisme intégral,
car l’Être ne peut se trouver qu’au-delà du monde sensible ; c’est la voie de la vérité.
Par ailleurs, l’enseignement de la
déesse intime l’ordre d’apprendre à connaitre le monde des opinions qui possède toutes les apparences du vrai, parce
que c’est un monde trompeur, celui des hommes, celui des sens. D’où la leçon
distingue la voie de la vérité,
connaissable par le logos et seulement par lui, et la voie de l’opinion qui est celle des sens. C’est donc une vision
dualiste de la connaissance, or toute connaissance tendant à accéder à l’être,
celui-ci se place hors d’atteinte des sens selon les philosophes éléatiques. Ces
sens conduisent eux aussi à une
"réalité", fut-elle de
l’ordre de l’opinion, car le monde
des opinions n’est pas un non-être, au dire même de la déesse qui
invite à l’examiner !
Deux autres noms se rattachent à l’école d’Elée, Zénon d’Elée et Mélissos de Samos qui sont les continuateurs de Parménide ; ils tenteront de montrer que c’est le changement et la multiplicité du monde sensible qui lui enlèvent toute réalité.
V – Une rupture :
1 — les sophistes
Nous avons vu que le questionnement
initial procède d’une rupture, celle qui libère l’homme de l’emprise de la
mythologie et du mythe ; celle qui affirme que le logos peut aider à accéder à la connaissance de l’archè et du
kosmos, celle qui affirme enfin que cette connaissance seule peut permettre la
vie bonne ; mais quel est le paradigme de cette connaissance ?
Comment être certain que nous sommes dans la bonne direction dès lors que
l’explication par les dieux est rejetée ?
Au bout de quelques siècles de
réflexions, de tâtonnements et de conjectures, certains penseurs en arrivent à
la conclusion que l’accès à la vérité
est impossible ; dès lors, ils renoncent à toutes recherches spéculatives dont le but serait de comprendre le kosmos et son origine ; ils
renoncent à rechercher un quelconque principium
ou archè et de comprendre la nature. Reste à fonder la recherche de
la vie bonne qui demeure l’unique objectif. Il ne reste donc que l’interaction
avec les membres de la société, l’interaction avec l’homme pour générer les
conditions d’une vie bonne. En somme, tout est basé sur l’opinion ; est
juste, ce que j’arrive à convaincre qu’il en est ainsi ; est bonne, ce que
j’arrive à convaincre qu’il en est ainsi. En clair, l’unique voie du bonheur
est celle de la manipulation de l’autre, celle de la manipulation de l’opinion.
Il n’y a plus de vérité en soi, de
vérité ontologique. La vérité, comme la justice, relève de la cité, de son
organisation et des conditions de son fonctionnement. L’outil pour réaliser
cela est encore le logos, mais un
logos entendu dans son sens premier. Il faut de la rhétorique et de l’éloquence,
toutes choses qu’il faut apprendre ;
toutes choses qui doit s’enseigner, car
tout est dans le discours. La
recherche sur la connaissance demeure bien sûr, mais elle a changé
d’objet ; elle se concentre sur les moyens de générer des interactions
possibles entre objets qui me soient favorables, c’est-à-dire les interactions
sur les opinions. La préoccupation n’est plus de poser sa liberté en face des
dieux et des hommes, elle est d’affirmer et de défendre son droit face à l’autre, face à la
société ; c’est donc une rupture aussi bien dans la finalité que dans la
motivation. Selon Protagoras, "L’humain
est la mesure de toutes choses, de celles qui sont en tant qu’elles sont, de
celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas." A l’usage, il
semble que "l’humain" doit être entendu comme l’intérêt spécifique ou
le bonheur de l’homme ; comme projet, ce n’est pas condamnable, si on
évite l’égoïsme et la négation de l’autre ; mais en tout cas, dans sa
modalité, c’est un changement de perspective par rapport au questionnement
initial.
2 — Socrate
Socrate est également en rupture
avec le questionnement initial, il l’est également avec les sophistes. Il le
fait en introduisant une autre thèse17 sans renoncer ni à
l’interrogation sur l’Être, ni la démarche sophistique qui se voulait d’abord
pragmatique. Comme l’écrit Francis Wolff18 :
"Le noyau dur du « socratisme » -si tant est que le mot ait un sens- est la thèse dite de la « vertu = savoir ». Sur ce point Platon, Xénophon, Aristote s’accordent et insistent : c’est la pensée la plus originale de Socrate et sa position la plus paradoxale. En fait, la thèse est simple, mais le paradoxe est double. Soutenir que « la vertu est savoir », c’est simplement affirmer que celui qui sait ce qu’est le « bien » ne peut manquer de le faire. Mais cela suppose que nécessairement il le veuille et qu’infailliblement il le puisse. Or c’est doublement heurter l’opinion admise." La rupture socratique est donc un changement complet de perspective, le savoir reste l’objectif, mais sa finalité est d’ordre moral désormais, voire sociétal.
Conclusion.
Nous avons commencé ce survol par une question, la
question des origines, à savoir : "Que
pouvons-nous trouver à l’origine, à toute origine, de ce que peut être
l’existant observable ou simplement concevable, c’est-à-dire la question de
l’Être ?" Dans ce survol, il n’est pas possible de déployer dans
le détail les nuances qui accompagnent chacun des cas que nous avons abordés et
qui sont autant de pensée audacieuse, nuances qui révèlent l’extraordinaire
richesse des interrogations et des réponses qui furent proposées. L’important
me semble-t-il, est de souligner la diversité des directions qui furent prises pour
approcher l’objectif, tout en considérant que l’interrogation comme les
solutions doivent faire partie du vivre au quotidien ; il s’agit donc du
"nourrir son esprit"
considéré comme inséparable du "nourrir
son corps". Ce n’est donc pas la valeur intrinsèque des réponses,
comparée à ce que nous, nous savons aujourd’hui avec plus de deux mille ans de
recul et de progrès continus qui doit servir pour juger de la qualité de la
démarche. Il ne s’agit donc pas de considérer la valeur
"scientifique" des solutions proposées, mais de saluer le progrès que
constitue le fait que les questions puissent être posées et d’inviter l’homme à
y consacrer son esprit en donnant ainsi une autre branche à la spiritualité.
La faculté parle de "philosophes présocratiques", il convient de remarquer que nombre des acteurs de cette aventure sont contemporains de Socrate, d’autres lui ont survécus ; tous ceux-là ont certainement débattu avec lui. L’expression présocratique doit donc être nuancée et ne doit pas être prise au pied de la lettre. La direction introduite par les sophistes dans cette recherche pèse encore aujourd’hui sur nombre de nos activités, notamment dans les relations interhumaines, malgré le correctif que le christianisme a tenté d’apporter.
Bibliographie.
1 —
Gadamer H.-G, Au commencement de la
philosophie, pour une lecture des présocratiques ; p 10 ; Seuil
2001
2 —
Brague R., Introduction au monde grec,
études d’histoire de la philosophie, Flammarion, champs essais, 2008
3—
Dumont J.-P., Les écoles présocratiques,
Folio essais, 1991
4 —
Dumont J.P., Les présocratiques, La
pléiade, Gallimard, 1988
5—
Voilquin J., Les penseurs grecs avant
Socrate, page 27 ; GF Flammarion, 1964.
6 —
Référence 3, page 47
7 — Fragments
d’Héraclite : Sextus
Empiricus, Contre les mathématiciens,
VII 132 et VII 133. Traduction française de Tannery
8 —
Clément, Stromates, V, 14, 104, 2.
9 —
Hippolyte, Réfutation des toutes les
hérésies, IX, 9, 4.
10 —
Hippolyte, Réfutation des toutes les hérésies,
IX, 9, 2.
11 —
Singh S., Le dernier théorème de Fermat,
page 33 ; JC Lattes, 1997.
12 —
Référence 4, page 115
13 — http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_W%C3%B6hler
14 —
Salem J., Les atomistes de l’Antiquité,
Flammarion, Champs-Essais, 1997
15 —
Référence 4, page 65
16 — Di
Giuseppe R., Le voyage de Parménide,
Orizon, 2011
17 —
Wolf F. Socrate, PUF 1985
18 —
Référence 17, page 67.
http://villemin.gerard.free.fr/Esprit/Thales.htm (sur Thalès)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Anaximandre (sur Anaximandre)
http://villemin.gerard.free.fr/Esprit/Pythagor.htm (sur Pythagore)
http://www.cosmovisions.com/Empedocle.htm (sur Empédocle)
[1] En réalité, cette règle est faussée
par construction y compris de nos
jours ! Car, tout nombre est diviseur de lui-même, d’où aucun nombre, en
toute rigueur, n’est supérieur ou égal à la somme de tous ces diviseurs. C’est donc un cas particulier dont l’étude est riche
d’enseignement.