Paul
G. Aclinou
Ce
"regard" sur les bâtisseurs du vodoun[1],
mode d’existence, est proposé aux amis et
sympathisants de l’"Association
des Béninois et Amis de Nantes".
Une conférence sur les fondamentaux
du vodoun devait se tenir le 8
janvier 2021 à Nantes à l’occasion de la fête du vodoun, fête qui se tient le 10
janvier chaque année. Pour des raisons évidentes de prudence sanitaire, cette
conférence est reportée à une date ultérieure ; à la place, je propose ces
pages pour inviter à une réflexion sur les auteurs anonymes de l’ensemble des
valeurs qui sont à la base du vodoun.
Je ne
traite pas de la religion, mais des fondamentaux, ce que j’appelle l’autre regard sur le vodoun. Afin de permettre à ceux qui ne sont pas informés
de mes précédents déploiements sur la connaissance du vodoun, d’entrer
rapidement dans la réflexion sur la question des bâtisseurs, il m’a paru utile de
proposer en première partie un
résumé de ces fondamentaux. L’ensemble est composé
à partir des éléments qui proviennent d’un troisième volume (à paraitre) de la
série ; le titre : Comprendre
le vodoun en huit jours. (Les deux premiers sont : Une pédagogie oubliée : le vodou et Le
vodoun : leçons de choses, leçons de vie. 1 – Le continuum de
potentialités).
Je
voudrais terminer par un remerciement, un remerciement qui s’adresse à deux
personnes : Monsieur Hountondji Rodolphe, le président de l’association,
pour avoir pris l’initiative de me contacter et de m’inviter pour cette conférence,
reportée, m’offrant ainsi l’opportunité de cet échange ; je l’en remercie.
La seconde personne est ma compagne, littéraire, et intraitable quant à la
langue écrite et au style ; comme première lectrice de ma prose, je lui
dois de rester dans la rigueur de l’expression. Tous les manquements éventuels
sont de mon fait, je m’en excuse. Bien entendu, je reste disponible pour des
échanges, si la question se pose après lecture.
Paul
Aclinou, Toulouse le 02 janvier 2021.
Le texte de cette réflexion fait partie d’un ensemble ; merci de
ne pas le reproduire sans autorisation. © Paul Aclinou (Cléo
SGDL)
I - INTRODUCTION.
Il y a une question qui est absente de
pratiquement tous les écrits sur le vodoun, c’est celle des bâtisseurs du
système. Cela se comprend car, rien ne permet de mettre un nom ou des noms sur
cette œuvre. Il doit y avoir nécessairement un nom ou des noms, car nous sommes
en présence d’une construction structurée, extraordinairement homogène et dont
toutes les composantes sont pensées et reliées logiquement entre elles.
Voici les éléments qui permettent de mesurer
l’intentionnalité qui est à la base de l’ensemble et qui nécessite une volonté
déterminée et tendue vers un seul but qui est de faire l’homme. Ces éléments
entrent dans les fondamentaux du vodoun ; nous allons donc les traiter
succinctement avant d’aborder la question des bâtisseurs.
LES CONSTITUANTS DES
FONDAMENTAUX.
1er élément :
- La constitution d’un système didactique à
deux volets indépendants, deux magistères, celui de la foi et celui de la
raison.
Le
premier met en œuvre la nature ritualiste de l’homme par le fait
religieux, mais les
bâtisseurs en ont fait la porte d’entrée du second volet. Ce premier magistère
est un héritage le plus souvent. Mais, et c’est cela un coup de génie, ce fait
religieux est une contractualisation ! Ce qui le différentie
de bien de religions du monde.
Le
second met en œuvre la propension de l’homme à s’interroger. Dans le vodoun, ce
magistère ne peut être qu’une conquête, qui doit être faite par l’individu qui veut y
pénétrer ; la seule clé nécessaire pour cette conquête est le
bon sens ; une clé qui est à la portée de tous.
2eme élément :
- La notion de transcendance, la notion d’être
suprême est
définie par rapport à ce à quoi l’homme, animal pensant, peut accéder ;
d’où Mawu, c’est-à-dire "ce que nul ne peut atteindre".
Dès lors :
L’expression Mawu
est la formulation de cette incapacité !
C’est la formulation de cette limite de l’homme face à l’objet de
ce concept d’un niveau si élevé, et que les peuples de l’aire Adja-Tado
veillent à tenir résolument à l’écart de toute mimésis sociétale comme de
tout dogmatisme. |
Rendre un culte à cette "incapacité"[2]
ou simplement la représenter par une image par exemple, serait simplement
ridicule ; simple question de bon sens ! |
Ainsi les concepts d’Être-Suprême et de Création
sont dans le vodoun, d’un niveau de conceptualisation inégalé,
toutes religions confondues ! |
Et la foi, la foi en ce Dieu, Mawu ? Elle
se résume en 3 affirmations qui sont absolues :
- La première signe ce que le vodoun entend
par "création".
- La seconde affirme la propriété de cette création.
- La troisième signe la dévotion de l’orant.
Ces affirmations sont :
1° - N’arrive
à l’existence que ce que Mawu a créé. 2° - Tout
ce que Mawu a créé est bon. Quant à l’homme, il est au niveau de ce qui est en cours
d’arriver à l’existence. À ces deux points s’ajoute une supplique : 3° - ODU (lire odou) qui est la contraction d’une supplique en langue
yoruba que nous traduisons par : "Inconnaissable, sauvez-nous !" |
En d’autres termes, le vodoun mode d’existence
est de l’ordre du conceptuel et de la didactique ; le fait religieux est
au service de cette didactique. Nous retrouvons ici, simplement formulée et
directement relié à Mawu, la convertibilité des transcendantaux-universaux qui occupa toute la
pensée occidentale depuis la très profonde antiquité jusqu’à nos jours, en
passant par la scolastique, et donc par le christianisme triomphant.
Conséquence :
3ème élément :
Le mythe fondateur.[3]
Au commencement, dit le mythe, Mawu
(Dieu) créa le monde avec tous les êtres dont l’homme. Mawu habitait au
firmament qui en ce temps-là était à peine au-dessus du monde des créatures.
Pour ainsi dire, Mawu vivait avec les hommes, très près d’eux. Il pouvait alors
leur venir en aide directement en cas de nécessité. Il faisait bon
vivre en ce temps-là ; les hommes étaient heureux ; l’existence était
un délice quotidien, sans soucis et sans souffrance ; la mort n’existait
pas, dit encore le mythe. Dans ce mode de vie paisible et sans soucis, la femme
avait la mission tous les matins, de balayer le monde. Elle le
faisait ; puis discrètement, elle donnait de petits coups de balai au
firmament ; on dit qu’elle "donnait des coups de balai dans les
fesses de Dieu " !
Un jour, le Tout-Puissant en eut assez, il
s’éloigna alors du monde des hommes. Ceux-ci se retrouvèrent dès lors seuls
dans la vie. C’est à partir de ce moment-là que l’homme se trouve confronté à
la souffrance, à la misère, aux malheurs et à la mort…
Le mythe ajoute, et
c’est là, sa note d’espoir et de sollicitude divine envers l’homme créé, il
ajoute que devant tant de difficultés, de souffrances et de malheurs dans la
vie des humains, Mawu eut pitié. Il eut pitié des hommes ; il créa alors
les vodoun, types d’êtres, pour leur
venir en aide.
Comprendre le mythe : Il suffit de
déployer le verbe agissant qui ici est balayer ; un verbe qui n’a
rien à voir avec les travaux ancillaires.
|
||
|
Il n’est pas difficile de comprendre que cette
œuvre soit le fait de la femme dans ce mythe.
UNE DÉFINITION.
Les vodoun sont donc "mis à la
disposition de l’homme" par Mawu (Dieu) pour lui venir en aide. La
question qui vient à l’esprit est celle de savoir ce que sont les vodoun ;
une question de définition donc. C’est une question qui préoccupe tous ceux qui
ont écrit sur le vodoun depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui encore il y a une
grande ambiguïté quant à savoir ce qu’est un vodoun ; ainsi :
|
La première de ces réponses correspond à ce qu’il
est convenu d’appeler la religion vodoun ; elle correspond à une pratique, le
fait religieux, mais ne nous indique pas ce qu’est l’entité vodoun du mythe.
La seconde est celle qui vient à l’esprit,
notamment après la rencontre avec d’autres cultures et d’autres religions qui
effectivement admettent ce type d’êtres en en faisant des détenteurs de certains
pouvoirs. C’est précisément cette signification qu’il faut éviter de donner aux
vodoun, et cela, bien des auteurs l’ont compris dès les années vingt !
C’est le cas par exemple de Le Hérissé, qui écrivait en 1911, le père André
Boucher qui écrivait en 1926, ainsi que d’autres. Par exemple :
Maurice Delafosse
écrit, rapporté par Maupoil[4] :
"Des êtres ni divins ni humains, plus
puissants que l’homme et moins puissants que Dieu ; des êtres non
matériels, des génies, des anges, comme on voudra… Il faut donc bien se garder
de confondre les vodoun avec Mahou, et c’est commettre une grave erreur que de
leur donner le nom de divinité. Les Dahoméens ne les regardent pas du tout
comme des dieux…"
Maupoil qui écrivait
au début des années quarante ajoute[5] :
"Le mot vodu
désigne ce qui est mystérieux pour tous, indépendamment du moment et du lieu,
donc ce qui relève du divin. On dira par exemple, que celui qui meurt devient
vodu : cela ne signifie nullement que tout le monde l’adorera, mais
simplement qu’il est parti vers un monde inconnu…"
La
troisième réponse est à proscrire également, car dans la culture concernée, il
existe bien des êtres spirituels qui s’appellent yèhoué, or un yèhoué
n’est jamais considéré comme un vodoun. Ajoutons que Yêhoué ne correspond pas exactement non
plus à être spirituel dans le sens
occidental du terme. En effet, à la mort d’une personne âgée, on considère
qu’elle devient un Yêhoué, or en
Occident, un mort n’est pas considéré formellement comme un être
spirituel ; il convient donc de nuancer. Nous sommes, là encore, devant la
difficulté de trouver une traduction exacte des éléments d’une culture par
rapport à ceux d’une autre.
Un dahoméen disait à Maupoil :
"vodu désigne dans notre langue
l’inconnaissable ou les inconnaissables…"
C’est la quatrième définition ; celle qui
se prête le mieux au mythe, mais cela signe surtout ce que pense l’homme. Il
faut donc aller plus loin pour saisir véritablement le signifié du terme
vodoun, aller plus loin dans la mise en œuvre selon le mythe. Avant cela, il
convient de lever une confusion courante aussi bien chez l’homme africain que
chez l’étranger. Il s’agit du fait de considérer un fétiche comme un vodoun.
Un amalgame : fétiche.
Considérer un fétiche comme un vodoun, type
d’être, est une erreur ; il suffit de reprendre deux caractéristiques des
fétiches pour mettre en évidence cette erreur.
1°/ Un fétiche est un objet fabriqué par
l’homme.
2°/ Quand un fétiche est jugé inefficace par
son fabriquant ou par son utilisateur, il est jeté.
Entre dans la fabrication d’un fétiche, tout
ce que l’homme a à sa disposition dans sa vie courante, voilà pourquoi les
listes interminables d’ingrédients que certains auteurs fournissent n’a pas
grande signification, car seule la personne qui a fabriqué le fétiche sait
quelles propriétés elle assigne à chacun des constituants afin que l’ensemble
achevé assume la fonction qu’elle lui destine. Nous sommes bien sûr dans
l’ordre des croyances ! C’est exactement comme ce qui se passe dans le
christianisme quand votre curé vous offre une image ou une médaille bénite. La
différence d’avec le vodoun tient au fait que dans le christianisme, chaque
saint possède une propriété qui est fixée par le dogme. Prenons par exemple une
corde qui entre dans la fabrication d’un fétiche, le sens, et donc sa fonction
dans le fétiche achevé peut être :
- D’entraver.
- De signifier la réunion ou la consolidation ou
la solidarité ou la cohésion … entre des individus…
- De signifier l’invincibilité. (Mon grand-père avait
comme devise : "aucune corde ne peut entraver l’univers !", c’est indiquer
une invincibilité supposée, une adhésion sans faille à sa liberté…)
On voit donc que seul le fabriquant sait la
fonction qu’il assigne à son fétiche à travers les propriétés de ses
constituants selon lui.
Ceci étant, l’homme reste maître de son action ;
il reste lucide en cela que l’efficacité n’est pas seulement une
croyance ; voilà pourquoi quand les résultats de l’emploi d’un fétiche ne
sont pas au rendez-vous, le fétiche est jeté sans hésitation ! Ce n’est sûrement
pas le cas des images et médailles chrétiennes.
Vodoun : un concept, un type d’être.
Pour comprendre ce que recouvre le terme dans
le sens du mythe, nous allons prendre un exemple, celui du vodoun Osanyi,
"divinité" de la médecine.
Un exemple : Osanyi.
Osanyi est le dieu de la médecine. Sa fonction selon les croyances, est de
soigner l’homme ; de le débarrasser des maux du corps et de ceux de l’âme. Pour
cela, son mythe nous dit qu’à l’origine Osanyi était un dieu vigoureux dont le
corps était entièrement recouvert de perles de toutes les couleurs. Osanyi peut
tout soigner avec les plantes, les couleurs et les sons, c’est-à-dire avec la
parole, car il possède une connaissance infinie de tous ces éléments et il sait
les mettre en œuvre au bénéfice des hommes, nous dit le mythe.
Par la suite, il est devenu une divinité qui a
de multiples handicaps. Aujourd’hui, Osanyi est unijambiste, manchot,
borgne, malentendant et muet... La croyance veut qu’à l’origine, avant
qu’il ne devienne handicapé, avec sa panoplie de moyens, Osanyi soignait et
guérissait toutes les maladies des hommes. Il le faisait tant et si bien
qu’aucun homme-guérisseur ne pouvait rivaliser avec lui. Dès lors, les hommes guérisseurs
ne pouvaient plus vivre de leur travail, le dieu étant si efficace. Ils se sont
plaints à Lêgba, chef des vodoun. C’est lui Lêgba qui est à l’origine des
handicapes de Osanyi, qui dès lors a besoin des hommes pour l’aider à soigner.
Nous avons un point pivot qui est le
handicap du dieu.
Dans l’ordre des croyances, donc dans le fait
religieux,
Osanyi est considéré comme un vodoun très efficace, car malgré ses multiples handicaps,
il soigne et guérit l’homme.
Mais, si je considère les
raisons qui
sont à l’origine de ces mêmes handicaps, l’analyse du mythe est
autre. En effet, Osanyi est devenu unijambiste, manchot …etc. parce qu’il
réussissait sa mission au point de ne rien laisser à l’homme
guérisseur[6] ; ce sont donc ses
succès qui justifient son état actuel, c’est un paradoxe ! C’est un succès qui ne
laisse aucune opportunité de vivre aux autres… nous sommes là dans le cadre du principe
de subsidiarité. C’est l’enseignement principal de ce mythe.
Ce principe méthodologique pose que dans une structure
à étages, ce
qui est le cas dans toutes les sociétés humaines, chaque niveau doit pouvoir
jouer pleinement son rôle, et donc pour cela, chaque niveau doit disposer
des moyens et de la liberté pour le faire.
Chaque niveau de la structure assume une
fonction ; l’ensemble des fonctions des différents niveaux contribue à
l’harmonie, c’est-à-dire à la bonne vie du groupe ; c’est-à-dire
le vivre ensemble en harmonie.
Si donc un niveau quelconque ne permet pas
aux autres de fonctionner normalement, il y a un déséquilibre de l’ensemble. C’est ce principe qu’a
violé Osanyi avant ses handicaps. Nous avons là, un principe qui intervient au
quotidien. En France par exemple, nous avons :
Le niveau de l’État.
Le niveau des régions.
Le niveau des départements.
Le niveau des communes.
Chacun de ces niveaux doit disposer des moyens
pour assumer son rôle…C’est le principe de subsidiarité. Ici, la foi et les
croyances n’ont aucune place, c’est la logique pure ; c’est
le magistère de la raison.
UNE CONSTRUCTION SUBTILE !
Nous voyons dans cet exemple la mise en œuvre
de la démarche de fond des bâtisseurs du vodoun.
Nous avons trois entités dans la
construction :
1°/ un symbole ; ici il s’agit des
handicaps de Osanyi.
2°/ un magistère de la foi ; les croyances du
fait religieux avec les rituels éventuellement.
3°/ un magistère de la
raison ;
c’est la pédagogie, la didactique qui est totalement déconnectée des croyances
et qui ne fait appel qu’au bon sens.
Nous obtenons ce que j’appelle un
triptyque dans lequel un pan relève de la foi et donc de l’héritage ; un
second pan relève de la réflexion, mais c’est une conquête à faire. Enfin, il y
a le point pivot qui permet de passer d’un pan à l’autre.
Ces trois éléments ne sont pas retenus
arbitrairement, ils sont choisis et positionnés par les bâtisseurs en
connaissance de cause. Ils traduisent une connaissance extraordinairement fine de l’être
humain.
Le magistère de la foi est le lieu des
croyances qui
sont une donnée incontournable de l’homme ; car les croyances permettent
de mettre en œuvre la nature ritualiste de l’homme, toutes sociétés
confondues.
Le magistère de la raison relève de la propension
de l’homme à s’interroger ; je ne parle pas seulement de curiosité.
C’est ce caractère, tout aussi incontournable de l’être humain, qui est le
moteur de son progrès ; c’est aussi la caractéristique qui justifie toutes
les pédagogies.
On mesure le génie des bâtisseurs du vodoun
qui construisent une structure éducative qui est basée sur ces caractéristiques.
Plus remarquables encore sont les fonctions qui sont assignées aux trois
éléments et leur mise en œuvre. Le schéma du triptyque est le suivant :
Le triptyque : une distinction
magistérielle. © Paul Aclinou
Les deux magistères
ainsi délimités avec précision fonctionnent indépendamment l’un de l’autre,
tout en partageant un même élément : le symbole ou ce qui en tient lieu ; c’est lui qui relie les
deux.
Nous pouvons dire que le terme vodoun désigne
un type d’être qui s’apparente à un logiciel ; c’est un concept. Voilà pourquoi il ne
faut pas traduire le terme par être spirituel ou divinité ; ou alors il
faut préciser que c’est faute de mieux ; c’est ce que je fais, mais en
aucun cas, il ne faut l’entendre au sens occidental du terme.
Nous pouvons à ce
niveau considérer les vodoun, types d‘êtres, comme des relations ; c’est en cela que ce sont des outils
conceptuels ; ce qui n’est pas le cas des fétiches qui eux sont des outils objectifs, de fabrication humaine.[7]
Passons-en les pans en revue.
1°/ Le fait religieux.
Dire que le fait religieux signe la nature de
l’homme ne suffit pas ; les bâtisseurs sont allés plus loin en précisant
les caractéristiques de ce fait dans l’optique de l’homme en développement. Sa
principale caractéristique est, outre le fait que ce soit un héritage, son caractère
contractuel !
C’est donc un système de contractualisation
qui vient du fait qu’il y a une idée de base dans la structure du vodoun, quel
que soit l’angle sous lequel on le considère - religion ou mode d’existence -.
Elle semble dire l’indétermination fondamentale de l’existence.
C’est-à-dire que les concepteurs du système posent que rien ne peut être
considéré comme prédéterminé ou imposé à l’existence de l’homme.
Cette idée découle directement du mythe fondateur ; en effet, dire que la
femme, métaphore de l’être humain, a fait "partir" Dieu, c’est
précisément signifier le libre arbitre de l’homme, sans pour autant
exclure l’Être-Suprême en tant que créateur de l’existence du croyant.
En clair, l’homme se sait doté d’une
"tête" dont il a la capacité et la liberté de se servir ; c’est
cela aussi, une idée de base du vodoun. C’est cette potentialité de se
servir de sa tête qui est l’apport de la femme selon ce mythe du
vodoun. Le fait religieux doit donc en tenir compte ; d’où son caractère
contractuel.
Un exemple extrait de
l’ouvrage[8]
Au pays des Fons, de Maximilien
Quenum, porte sur une commerçante s’adressant à Lêgba, dieu des croisements.
L’auteur écrit :
"Une femme ayant promis au Tôlêgba[9]
(esprit gardien des villes) de lui apporter de l’huile de palme du marché, lui
dit au retour « Tôlêgba, je ne te dois rien, car j’ai mévendu".
Effectivement, ce
comportement est très fréquent. La promesse de "sacrifice" est faite sous
une condition implicite ; elle est faite avec le sous-entendu que "…si ma journée de vendeuse au marché se passe
bien, et si elle est fructueuse…[10]".
On doit donc parler
d’une contractualisation de fait, car ce n’est pas une supplique que
cette femme adresse à Lêgba dans la matinée, c’est un marché d’égale à égal
qu’elle fait avec le dieu. En fin de journée, elle signifie simplement au dieu
qu’il n’a pas assumé sa part du marché conclu[11].
On voit que l’individu
se sent libéré vis-à-vis du fait religieux, en rendant la pratique totalement dépendante
de ses besoins et de ses choix, à lui ; dépendante de sa
volonté d’être vivant, ici… sur terre. Un être vivant qui doit assurer son
bien-vivre au quotidien, et seulement cela !
Voici un second
exemple ; il porte sur les interdits de Fa, vodoun de l’art divinatoire.
Un homme dont l’interdit du Fa[12] est
l’alcool, avait une telle envie d’en consommer que, n’y tenant plus, un jour il
prit un verre, y introduisit son Fa (les noix) puis versa de l’alcool
par-dessus. Il s’adressa ensuite au Fa, et lui dit : "Tu m’as interdit l’usage de vin de palme ; je t’en fais boire le
premier ; tu ne pourras plus m’en empêcher ! "
En d’autres termes, l’essentiel revient à
l’homme ! Il ne s’agit donc pas d’une croyance aveugle, irraisonnée ;
il y a la condition cependant que l’individu assume cette liberté vis-à-vis de Fa
comme dans l’épisode qui est rapporté ci-dessus. Il ne s’agit pas non plus
d’une liberté aveugle ; non, il s’agit de responsabilité à assumer. Par
exemple, quand on "fouille" Fa, le signe obtenu en réponse à une
question ou à un problème qui se pose au consultant, peut être refusé ; le
consultant peut le faire une fois, mais après avoir offert un sacrifice qui est
obligatoire ; le refus doit donc être réfléchi, et cela a un coût.
2°/ Le magistère de la
raison.
Faire la distinction
entre magistère de la foi et magistère de la raison ne suffit
pas ; il faut aussi préciser les caractéristiques de chacun d’eux.
Nous venons de voir
comment les bâtisseurs du vodoun positionnent le fait religieux, notamment en
le découlant de la nature ritualiste de l’homme ; mais aussi en lui
enlevant tout caractère dogmatique et en en faisant la porte d’entrée à l’autre
pan du triptyque, le magistère de la raison. Voyons à présent succinctement
toujours, leurs idées sur le magistère de la raison.
Lêgba et Fa : les
hérauts de la pédagogie dans le vodoun, mode d’existence.
Tout le magistère de
la raison est construit sur seulement deux vodoun, deux divinités qui sont
Lêgba et Fa.
On nous dit à leur
propos :
- Qu’il ne faut pas
séparer Fa et Lêgba. - Qu’il faut nourrir
Lêgba avant de nourrir Fa. - Tous les sacrifices passent par
Lêgba. |
Nous avons là trois
préceptes absolus que respecte tout le système religieux vodoun sans
toutefois pouvoir les expliquer logiquement. Chacun de ces préceptes débouche
sur une didactique très précise et absolue en tant que voie d’accès à
l’humain. Nous verrons plus loin les implications de ces préceptes. Ils sont à
la base de tout le magistère de la raison du triptyque, mais c’est dans le fait
religieux qu’ils s’expriment, toutes "divinités" confondues ;
voilà pourquoi, on peut considérer que le fait religieux est la porte d’entrée
du mode d’existence vodoun.
Les bâtisseurs du
vodoun l’ont fait en conceptualisant deux axes qui se retrouvent à la
base aussi bien du concept d’être que de l’art de la cognition.
Après avoir donné une définition de l’Être qui est d’un niveau conceptuel
inégalé, ils proposent une méthodologie de la cognition. Passons-les en revue.
Les concepteurs du système distribuent les
quatre premières figures de Fa sur les dieux Fa et Lêgba, et seulement sur
eux[13].
En effet, on considère que ce sont les dou (signes de Fa) piliers. Ils posent que
les signes :
Gbê
Médji et Yeku Médji représentent Lêgba. Woli
Médji et Di Médji représentent Fa. |
Ces deux divinités sont ainsi l’expression de
ces paires de signes, et vice versa. Mais la représentation ne s’arrête pas là.
En effet, le vodoun, mode d’existence, considère en d’autres termes, que ces
attributions affirment sans ambiguïté aucune, que : Lêgba, c’est l’Est et
l’Ouest ; tandis que Fa, c’est le Sud et le Nord. Ce qui veut
dire que toutes les
fonctions de toutes les divinités sont mises en œuvre à travers les deux axes Est-Ouest et
Nord-Sud ; c’est-à-dire à travers les quatre premiers signes de Fa,
à travers Fa
et Lêgba donc.
Quant à l’art de la
cognition, ce sont les quatre mêmes signes de Fa, mais distribués sur les dieux
Fa et Lêgba. Rappelons
les éléments qui sont mis en jeux.
PILIERS ET AXES.
Le
vodoun, mode d’existence, considère que les quatre premiers signes de Fa
sont les
piliers du monde ;
ce sont : Gbê Médji, Yeku Médji, Woli Médji et Di Médji. |
Nous
disons donc, pour nous résumer : * Que
l’Axe Est-Ouest, est tout ce qui est accessible à l’homme par
les sens, par une simple observation, une simple mise en œuvre de nos sens
donc. * Que
l’Axe Nord-Sud, est tout ce qui est accessible à l’homme après que la pensée ait été mise en œuvre ; il ne s’agit
pas de devinettes, mais de constructions mentales, y compris dans ses
fondements. |
- L’inséparabilité des deux
axes signe le précepte maintes fois répété "de ne pas séparer Fa et
Lêgba." C’est le lien organique. - La primauté de l’axe
Est-Ouest (Gbê Médji, Yeku Médji ; Lêgba, l’aîné) sur l’axe Nord-Sud
(Woli Médji, Di Médji ; Fa, le cadet). En d’autres termes,
c’est la répétition du précepte qui commande qu’il faut "nourrir
Lêgba avant de nourrir Fa" ; s’en est une autre formulation. |
La question de
primauté se retrouve dans d’autres cultures également. Par exemple dans la
pensée grecque antique, Platon et Aristote ; le premier prônait la
spiritualité en premier, alors qu’Aristote donnait la primauté à l’observation,
c’est-à-dire à Lêgba dans le vodoun. On dit[14] que "Platon regarde le ciel, Aristote regarde la terre" ;
le vodoun dirait "l’homme doit regarder la terre ET le ciel".
C’est à la fois la primauté de Lêgba, mais aussi l’inséparabilité d’avec Fa.
Le judaïsme offre également
à sa manière sa solution sur la question de la primauté de l’action cognitive.
C’est Léa, l’extériorité, qui a la primauté sur Rachel, l’intériorité.
LA QUESTION DE L’ÊTRE.
© Paul
Aclinou
L’Être est alors, tout ce qui
est susceptible d’entrer en interaction. |
C’est une définition
qui englobe tout ce qui fait l’existant, c’est-à-dire la création ; c’est
d’un niveau conceptuel inégalé. Or entrer en interaction ne peut se faire que
par la cognition.
Nous pourrions
déployer également la question du problème du mal dans le monde, question qui
préoccupe depuis toujours philosophie et religions ; ce sera pour une
autre fois.
L’ART DE LA COGNITION
SELON LES BÂTISSEURS.
J’ajoute pour terminer qu’un signe de Fa est
un octet, il peut donc s’écrire en binaire ; cela va nous conduire au
concept d’objet quantique obtenu à partir de certaines caractéristiques des
signes de Fa. Je propose en exemple un codage binaire des signes-mères. C’est
là une propriété du vodoun qui n’est accessible qu’à notre époque, et ce n’est
pas la seule.
CODAGE BINAIRE DES SIGNES MÈRES : I - DG ou GD
00000000 Gbê Médji |
11111111 Yeku Médji |
10011001 Woli Médji |
01100110 Di Médji |
00110011 Loso Médji |
11001100 Wèlè Médji |
01110111 Abla Médji |
11101110 Akla Médji |
00010001 Guda Médji |
10001000 Sa Médji |
10111011
Ka Médji |
11011101 Turukpê Médji |
01000100 Tula Médji |
00100010 Lètè Médji |
01010101 Cè Médji |
10101010 Fu Médji |
BINAIRES FIGURES-MÈRES (DG OU GD)
Voilà donc très rapidement présentés quelques
éléments de base du vodoun, mode d’existence, et sa mimésis sociétale. Certains des aspects de
la construction ne sont accessibles qu’à notre époque, y compris les réflexions
que ces aspects suscitent, et qui aujourd’hui constituent les grandes questions
en débat de notre temps.
C’est le cas par exemple de nos débats actuels
sur la protection de la nature ; le vodoun aborde ce problème avec un
mythe, le mythe du cotonnier.[15] En janvier 2019, le monde
apprend que les Chinois ont fait germer une plante quelques semaines plus tôt
sur la face cachée de la lune. C’était la première fois que l’homme faisait
pousser une plante sur la lune, hors de la terre donc. C’est une graine de
coton qui a germé et poussé quelques jours avant de mourir par suite des
températures très basses affirment les auteurs de l’exploit. Ce n’est pas la
seule semence qui faisait partie de l’expérience, mais c’est la graine du
cotonnier seule qui a poussé. C’est une simple, mais amusante, coïncidence avec
le mythe du cotonnier du vodoun.
Ma conviction est qu’une construction si
complexe, si structurée, et souvent d’un très haut niveau conceptuel, souvent
inégalé, ne peut être une évolution de simples croyances ; il faut qu’il y
ait une volonté et une motivation à sa base, d’autant que ce qui relève des croyances est
nettement séparé de ce qui relève de la raison en précisant le champ et la
portée de chacun de ces magistères.
Or fondamentalement, des bâtisseurs, on n’en
connait pas ! Pourquoi cet anonymat de fait ? Ma conjecture est que c’est le refus
absolu du dogmatisme qui justifierait ce choix ; voici pourquoi :
II - ET LES
BÂTISSEURS… LES FILS DE LA PENSÉE.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises les
auteurs du système que nous venons de décrire ; nous l’avons fait en leur
rendant hommage, sans être en mesure de mettre un nom ou des noms sur cette
œuvre. Je les appelle "les fils de la pensée" car c’est leur
seule préoccupation : amener l’homme à la pensée véritable, clé de tout ce
qui existe, créé par un dieu ou par le hasard ! Nous allons consacrer ce
dernier point de notre propos à leur action.
Il est indéniable que la très grande
homogénéité de toute la construction nécessite qu’il y ait une volonté
organisationnelle à sa base. C’est un système intégré qui nécessite qu’il y ait
une pensée qui signe une intentionnalité, et donc une visée. Il est évident
également que cette œuvre a été réalisée en direction de l’homme, et seulement
lui, en déplaçant toutes spéculations qui pourraient devenir excessives à un
autre niveau. L’objectif final est ce que ces hommes et ces femmes croyaient que l’Homme devrait
être. Plus que de croyance, il devait s’agir d’une conviction absolue de leur
part, car toute la construction est précise, et elle est tendue absolument vers
un seul but : l’Homme.
C’est donc une intentionnalité qui signe aussi
une espérance ; espérance, car les auteurs avaient une connaissance très
précise et très fine de l’être humain ; ils en avaient une conscience
aigüe, autant de sa nature que de ses capacités et de ses intentionnalités. On
peut dire que c’est d’avoir cette conscience qui leur a servi de guide dans la
conception du système qu’ils bâtissaient. C’est de cette connaissance de la
nature humaine que vient la place qu’ils ont accordée au ritualisme dans le
système jusqu’à faire du fait religieux, qui est le lieu de la ritualité, la
"porte d’entrée" pour la maîtrise de ce qu’ils ont bâti, et cela en
donnant une place exclusive à la raison jusqu’à faire de la foi seulement un
acte contractuel, c’est-à-dire un acte qui a la raison pour paradigme. C’est de cette connaissance également que découlent deux
observations que nous pouvons faire sur l’ensemble vodoun, système religieux et
mode d’existence.
C’est d’une part, l’anonymat dans lequel se fondent les bâtisseurs ; et de
l’autre, la contractualisation qui est la règle de fait, dans le système
religieux. Nous pouvons considérer que ces deux constats découlent du refus du dogmatisme de leur part.
Ces hommes et ces femmes ne sont pas seuls à
avoir pensé l’Être humain, seuls à avoir pensé à son humanité en le distinguant
de la bête, ou tout au moins, en l’espérant distant de la bête ; une
distance qui ne peut provenir que de ce qu’il est convenu d’appeler son
humanité. La différence essentielle avec d’autres bâtisseurs est le choix
qu’ils ont fait d’un anonymat absolu.
C’est ma conviction. Certes par-ci par-là, on
nous propose des rois, mythiques ou réels, qui seraient les auteurs du
vodoun ; c’est notamment le cas chez les Yoruba au Nigéria. C’est peu
convaincant, même si, ici ou là encore, des hommes et des femmes ont pu
apporter de petites touches aux fondamentaux tout en veillant à ne pas en
altérer le noyau. L’ensemble me parait venir de plus loin, loin dans le
temps ; et si c’est de plus loin également dans l’espace, la formulation a
dû se faire tout au long des pérégrinations qui ont conduit ces hommes et ces
femmes jusqu’à l’aire qui aujourd’hui, est celle du vodoun, aire Yoruba, aire
Adja-Tado, mais cela a dû se faire à partir d’un noyau immuable[16].
Des éléments de ce noyau se retrouvent dans
d’autres cultures également, mais ils ne possèdent pas l’homogénéité
et la profondeur qu’on leur connait dans le noyau originel, celui qui se trouve dans le
vodoun. Mais surtout, ces morceaux épars ailleurs ne semblent pas prendre en
compte une connaissance extrêmement précise de l’homme dans leur mise en
œuvre ; ou alors, s’ils l’ont fait, c’est souvent sous la forme d’instrumentalisation
aux fins de prédation ; la prédation qui est une autre caractéristique de l’homme.
Ce noyau est
indissociable des hommes et des femmes qui le maintiennent et le font vivre
depuis toujours. Inséparable d’eux parce qu’ils le nourrissent et le perpétuent
de génération en génération, tout au long de leurs pérégrinations[17], malgré les souffrances. Ils ont avec raison,
l’espoir chevillé au corps malgré les apparences. C’est ce qui confère à ces
hommes et à ces femmes, un atout unique dans le concert des humains. Cet atout
est psychologique d’abord ; il demeure encore inexploité, voilà pourquoi,
il est pratiquement imperceptible. Cet atout psychologique est le fait que
malgré les prédations extrêmes et spécifiques dont ils furent, et sont encore
la cible, malgré la virulence de cette prédation qui ne s’est privée d’aucune
arme, d’aucun artifice y compris religieux, ces hommes et ces femmes sont
toujours là, comme indestructibles. Ils sont toujours là, et toujours farouches
à dire l’homme, à dire l’humain ; celui qui est contenu en puissance dans
le noyau qui nous occupe et dont les constructeurs, parce que anonymes, ne
peuvent être instrumentalisés pour servir à l’action prédatrice, quelle qu’en
soit la forme.
Reste l’anonymat dans lequel demeurent les bâtisseurs ; il me
semble que cela est voulu. Ce fut un choix, car la cohérence et l’homogénéité
des éléments et des concepts qui sont enchâssés dans le système sont telles que
sans cette volonté de demeurer anonymes, la construction laisserait affleurer
par endroits des indications intelligemment distribuées en son sein pour nous
permettre, à défaut de les identifier, au moins de les situer ; là, rien !
C’est un constat.
C’est aussi une
conjecture de ma part que de postuler le caractère volontaire de l’anonymat de la part de ces hommes et de ces femmes. Ils
auraient choisi selon ce postulat, de s’effacer devant l’œuvre, afin de laisser
celle-ci conduire seule la leçon. C’est aussi la conviction qu’ils avaient
d’avoir bâti un système didactique autonome qui se suffit à lui-même, et qui n’a
besoin que de la
raison et du bon sens de l’humain comme tuteurs.
Ceci étant, une telle
conjecture me fait l’obligation d’avancer les éléments qui me permettent de la
fonder ; des éléments qui justifieraient par ailleurs ce choix des
bâtisseurs du vodoun.
Une raison : le refus du dogmatisme.
Le refus de dogmatisme est sans doute à
l’origine de ce choix. Le dogmatisme en tant que doctrine, reste
ouvert ; il est donc "neutre" ; c’est-à-dire
que c’est un concept qui signe la conviction que l’esprit humain peut
atteindre la vérité dans son absolu. En cela, le
dogmatisme fait une place de choix à la raison, et seulement à elle ; c’est la ligne
de conduite des philosophes présocratiques par exemple. |
Si par contre, on abandonne de fait la primauté de
la raison, en excluant le doute de sa dynamique
et en accordant un caractère absolu à des opinions[18], on débouche sur un dogmatisme
dévoyé. Ce dernier devient un principe qui peut se
vouloir immuable. Des hommes et des femmes peuvent penser devoir l’imposer
à l’individu à travers les opinions, les préjugés, les croyances… et surtout, à
travers la foi sous toutes ses formes. Ce dogmatisme-là, le dogmatisme
dévoyé, peut s’imposer également à travers les
constituants des modes d’existence, tels que certains aspects
du vivre et du vivre-ensemble ainsi que leurs outils, comme la morale et
l’éthique, le nationalisme ou tout
autre pilier des mimésis sociétales.
Par ailleurs, chacune de
ces opinions peut se poser en paradigme absolu à son tour ; et c’est à partir de là
que se met en œuvre la nature prédatrice de ce dogmatisme dévoyé. C’est ainsi
que la compassion
et l’empathie par exemple peuvent être
instrumentalisées pour servir d’armes de prédation. Ce fut le cas par exemple
des chrétiens à l’assaut des Amériques il y a quelques siècles ou encore à
l’assaut de l’Asie, pour ne considérer que ces deux situations. Ces exemples ne
sont pas qu’historiques ; la pratique est toujours à l’œuvre et
d’actualité activement aussi bien au niveau individuel qu’à celui de bien de
nos sociétés. Cette prédation, c’est celle des religions notamment, mais elle
est aussi celle de modes d’existence prétendument sans dieux.
Dans tous ces cas, ce dogmatisme-là[19],
possède deux caractéristiques, c’est-à-dire que :
-
1er) Il se centre autour d’une figure, celle d’un personnage, et (ou) autour du mode d’existence qui est généré par la dynamique
d’un système socio-culturel. Il s’agit le plus souvent de celui qui est élaboré
autour d’un ou de plusieurs personnages, là encore, auxquels s’agglutinent des
objets-concepts divers parmi lesquels nous trouvons les prérequis des mimésis
sociétales.
-
2eme) Ce dogmatisme dévoyé génère toujours de la prédation.
Il est donc source d’une dynamique conflictuelle et destructrice,
notamment quand il pilote en apparence, morale et éthique ; ou plus
prosaïquement, quand il instrumentalise et pilote les instincts de l’individu
ou ses avatars et ses prétentions. Il faut bien garder présent à l’esprit que
ce n’est pas lui, le dogmatisme dévoyé, qui est cause de la nature prédatrice
de l’homme ; cette nature est une donnée ontologique dont on peut par
ailleurs, déterminer les origines. Cette nature est exacerbée et
instrumentalisée pour servir de redoutable terreau à l’action prédatrice ;
c’est là qu’intervient le dogmatisme dévoyé.
En conséquence, pour éviter cette seconde
caractéristique du dogmatisme dévoyé, la prédation et ses implications, il faut
s’interdire de suivre la première ; ou au moins, il faut la
considérer avec circonspection, en soumettant tout son déploiement à la raison.
Telle pourrait être l’analyse des bâtisseurs du vodoun.
Tentons de comprendre le
moteur qui fait fonctionner cette forme de dogmatisme que les bâtisseurs du
vodoun rejetèrent résolument. Ce qui va suivre peut être considéré comme
un archétype sans prétendre à une quelconque exclusivité, car le principe du dogmatisme
dévoyé
remonte sans doute à la formation des sociétés humaines, à la socialisation des
hommes.
Deux
piliers de toute prédation : le complexe de Moïse et le complexe
d’Alexandre.
Une telle analyse a certainement pris en
compte les deux piliers principaux de toute prédation[20].
Ces
piliers sont ce qu’on peut appeler le "complexe de Moïse" et
le "complexe d’Alexandre". Ce sont deux prototypes, mais deux
complexes majeurs dans la marche des sociétés humaines depuis au moins trente-cinq
siècles, près de quatre millénaires donc. |
PREMIER
PILIER : LE "COMPLEXE DE MOÏSE".
Première distinction mosaïque.
Le premier de ces piliers est ce que j’appelle
le complexe de Moïse. Le fonctionnement mental de ce complexe est l’art
de considérer deux domaines pour la constitution, la structure et le
fonctionnement de la mimésis sociétale. C’est d’une part, le domaine qu’on
considère comme le sien, le seul valable que l’on doit valoriser et promouvoir,
et d’autre part, celui qui est à rejeter, qui n’est pas à valoriser, mais qui
au contraire, est à ostraciser à outrance, si possible. Il s’agit donc d’une
partition. C’est là le fondement de la prédation théologique.
Nous nous trouvons ainsi en présence de deux
cadres dans lesquels nous pouvons observer la mise en place de deux mimésis
sociétales distinctes. Je rappelle que la mimésis sociétale est le tissu du
cadre incontournable dans lequel se placent la structure mentale et cognitive,
ainsi que l’action de l’homme dans sa totalité ; c’est dans un tel cadre
que se place la partition induite par le complexe de Moïse. Ici, je suis assez
loin de ce qu’il est convenu d’appeler[21] la "distinction
mosaïque"
que nous devons à Jan Assmann[22]
et qui a suscité débats et controverses.
Pour saisir la différence que je fais entre la
distinction mosaïque et le complexe de Moïse, nous devons reprendre brièvement les bases
de départ de la réflexion de Jan Assmann. Notre savant débute sa réflexion par
la révolution religieuse qu’imposa dit-on, le pharaon Akhenaton au XIVème
avant J.C. à Amarna en Égypte.
En effet, Akhenaton retient une divinité, Aton qui faisait déjà partie
du panthéon ; ce ne fut donc pas une "construction" nouvelle. Il
l’imposa comme dieu unique, puis interdit toutes les autres divinités et leurs
cultes ; ce fut un changement radical comme concept, mais ce bouleversement
resta dans le mode d’existence qui précédait la démarche, celui qui avait cours
avant, pendant et après le règne du pharaon. La distinction entre vrai dieu et
faux dieux était le moteur de l’action du monarque avec des implications,
notamment la distinction entre vraie et fausse religion ; c’est ce qui en
fit une véritable révolution en son temps. Ce fut également une révolution par
ses conséquences immédiates dans le mode d’existence qui lui, restait
inchangé ; or celui-ci était et est encore le terreau de l’homme au
quotidien.
Quant vint Moïse, la distinction qu’il fit
alla plus loin que celle d’Akhenaton. Moïse commença par choisir également une
divinité[23]
qui existait déjà semble-t-il ; on accepte moins ce fait, et plus encore
de le dire ! En effet, Moïse n’a pas épousé que la madianite, il a épousé
également un de ses dieux, Yah, Yahvé... Moïse en a fait, comme Akhenaton, un
dieu unique, le seul vrai dieu selon lui.
Le schéma semble reproduire celui de l’action
du pharaon ; mais Moïse lui, n’avait pas la dimension sociétale,
spirituelle et politique, ni le pouvoir et les moyens dont pouvait disposer le
monarque ; alors, la mise en œuvre de sa "distinction" pour
passer en acte, a dû se faire avec doigté, finesse et intelligence ;
d’autant qu’il n’ignorait certainement pas l’échec cuisant qu’avait subi la
tentative d’Akhenaton aussitôt après sa disparition.
Il a donc dû faire appel au principe
de réalité,
principe que nous avons vu à l’œuvre à plusieurs reprises dans notre parcourt.
Ici, il s’agissait essentiellement de se donner les moyens d’assurer le succès
de son action car, la seule distinction entre vrai et faux dieu, et donc entre
vraie et fausse religion ne suffisait pas. En effet, deux éléments étaient
essentiels pour la réussite de l’entreprise, à savoir l’homme et la mimésis
sociétale ;
deux éléments qu’on ne peut ignorer sous peine de courir à l’échec ! Moïse va donc introduire une seconde
distinction.
Deuxième distinction mosaïque.
Le principe de réalité aidant certainement, Moïse prit ces deux éléments
en compte dans sa réflexion et ajouta une seconde distinction, celle qui concerne les
hommes ; la distinction mosaïque passa ainsi d’un à deux volets : un dieu unique ; un peuple unique ! Mais en réalité, on devrait plutôt
dire : un dieu
unique, une mimésis sociale unique. En
effet, la distinction mosaïque en deux volets nécessitait la "construction" d’une mimésis sociétale
séparée, ce qui fut fait par la
"construction" d’un "peuple séparé" ! Le ciment qui réunit
et maintient ces deux volets ensemble est le ritualisme ; c’est pourquoi
l’ensemble est placé sous l’égide du magistère de la foi.
Le second aspect de
l’œuvre de Moïse, celui qui porte sur la distinction au niveau des hommes est
plus radicale que le premier qui fixe lui, la séparation entre vraie et fausse
divinité.
C’est sans doute cette
radicalité qui est à l’origine de l’endogamie
absolue que prône le
Deutéronome ; c’est aussi ce qui explique l’existence et le sens du "prosélyte"
dans le judaïsme à propos de ceux qui les "rejoignent ;" des
hommes et des femmes qui restent perpétuellement des prosélytes ! On dit
par exemple, "Onkelos,
le prosélyte" pour désigner ce
remarquable disciple des sages, auteur du targoum Onkelos qui est unanimement
apprécié et célébré par tout juif instruit !
On peut penser que ce
second aspect vient du fait qu’il était apparu à Moïse, la nécessité de laisser
du temps ; un temps qui est indispensable à la maturation de l’homme afin
d’éviter l’échec qu’avait connu la tentative d’Akhenaton. Ce qui suppose des
étapes dans la mise en œuvre de la construction ; c’est-à-dire instituer
des mises à jour ou réactualisations au fur et à mesure de la formation de la
nouvelle mimésis sociétale ; une formation qui s’annonçait dès le départ, nécessairement
conflictuelle avec les autres mimésis.
Voilà pourquoi par
exemple, une première réactualisation est intervenue cinq à six siècles après
le début ; ce fut un ajustement majeur qui avait pour objectif essentiel
d’accentuer et de renforcer l’écart d’avec les autres mimésis, tout en
précisant davantage aussi le contenu et le cadre de la première distinction,
celle qui portait sur vrai
dieu et faux dieux avec comme corollaire,
la distinction entre vraie et fausse religion.
Ce fut au VIIème
siècle avant J.C., la "découverte" du Deutéronome par
Josias, et la réforme que fit ce roi de Judée. Réactualisation, car on va
retrouver dans ce livre des injonctions, des mots d’ordre et des
radicalisations qui se trouvaient déjà dans L’Exode, dans
le Lévitique et dans le livre des Nombres.
Cette première
actualisation ne hissa cependant pas encore la distinction mosaïque au niveau
de la radicalité de la réforme d’Akhenaton ; en effet, le monothéisme
restait encore littéral, il était noyé dans une ritualité qui n’avait rien à
envier à ce qui se pratiquait chez les peuples dont on se disait séparé. Le
monothéisme n’était pas encore totalement conceptuel ; il était seulement
intentionnel. C’est cette réactualisation qui allait faire faire un grand pas à
l’œuvre de Moïse vers un monothéisme intégral sans toutefois l’atteindre pour
autant, car un temps de maturation restait encore nécessaire. En effet, c’est
la réforme de Josias sur la base du Deutéronome qui va imposer la centralité du culte au temple de Jérusalem, en faisant un dogme de
cette centralité du temple qui devenait alors l’unique demeure de Yahvé. Du
même coup, il y eut la suppression de tous les autres lieux de culte ; ceux
qui étaient répartis sur tout le territoire du royaume furent interdits. Ce fut
là, le premier pas vers le monothéisme cultuel.
Une seconde
réactualisation intervint au Vème siècle avant notre ère à
l’occasion de la déportation à Babylone, (cela eut lieu en trois étapes :
597 av. J.-C. ; 587 av. J.-C. et 582 av. J.-C.). Cette fois, la
réactualisation fut consécutive à un drame. Ce fut un drame gigantesque,
d’autant plus qu’il porta aussi sur le fruit de la précédente réactualisation.
Non seulement le drame fit s’effondrer le temple - détruit - et sa centralité
pour le culte, mais ce drame menaça également de faire disparaitre toute la
construction, c’est-à-dire de faire disparaitre la "distinction mosaïque" en ses deux volets.
Celui des dieux : vrai dieu et faux dieu ;
c’est-à-dire la religiosité spécifique.
Celui des hommes : peuple élu et ce que le judaïsme
appelle "nations" jusqu’aujourd’hui ; c’est-à-dire une mimésis
sociétale distincte.
La réponse que donnèrent
les sages juifs à cette tragédie révéla la solidité de la programmation de
Moïse, une programmation qui avait privilégié d’accorder du temps à la
maturation des hommes ; une maturation accélérée[24] certes, mais qui ne put se dispenser du temps.
Car, non seulement les deux volets furent préservés, mais aussi la
réactualisation qui en découla conduisit à ce qu’on appelle aujourd’hui, le monothéisme théologique[25].
L’actualisation
s’accompagna d’une réduction partielle et momentané certes, du ritualisme faute
de Temple ; mais surtout, elle donna lieu à une virtualisation, celle qui consista à transférer les éléments des
deux volets dont il est question ci-dessus dans une dimension conceptuelle qui
n’excluait pas la dimension purement rituelle, mais qui dans cette nouvelle
dimension, pouvaient s’en passer, si nécessaire, sans perdre l’essentiel comme
le montra la suite des évènements jusqu’à une date récente. C’est bien ce
transfert dans la virtualité qui a permis à la fois un rebond, une continuité,
et surtout, une vision plus universaliste de la construction.
Ce rebond prépara
également à l’actualisation suivante qui intervint quelques siècles plus tard
encore, à la destruction du second Temple en l’an soixante-dix de notre ère… Il
est vrai que là, l’actualisation consécutive à cet autre drame, avait pour but
de régler aussi une déviation qui commençait à prendre corps de façon trop
appuyée. Il s’agissait du Temple ; c’est-à-dire que le Temple
prenait peu à peu la dimension d’une "divinité," ce
qui contrevenait absolument à la première distinction, celle d’Akhenaton, comme
celle de Moïse.
Au fait, aujourd’hui, la
"terre" ne prend-elle pas peu à peu elle aussi, la
dimension d’une "divinité," pour laquelle on est prêt à tuer … mais au nom de
Dieu ?
Pour revenir à notre
propos, ces réactualisations ont montré la solidité de la construction,
redisons-le. Mais, alors pourquoi parler de "complexe de Moïse" ? La
réponse est que je le fais pour deux raisons.
La première raison tient
à l’observation initiale ; c’est-à-dire qu’elle découle de la dimension de
l’œuvre d’Akhenaton ; je parle de ses dimensions, tant culturelle que
cultuelle, ritualiste, mais aussi politique et sociétale. En effet, la
distinction mosaïque ne peut prétendre se tenir à ce niveau, celui qu’a eu la
réforme d’Akhenaton quel que soit le point de vue cultuel et politique… où on
se place ; il y a donc comme un "complexe",
une "faiblesse" eu égard à la geste d’Akhenaton. Faiblesse
ne doit pas être compris ici avec un sens négatif, mais plutôt comme une
inadéquation fondamentale y compris sur le plan conceptuel, et bien sûr, sur le
plan rituel également.
La seconde raison tient
au second aspect de la distinction mosaïque, celle qui porte sur les hommes,
peuples et nations. Cette distinction revient à une exclusion de fait, qu’on la place sous le nom de dieu ne change rien
à cela. C’est une distinction qui ne peut être vue que comme une faiblesse, cette fois-ci au sens premier du terme. C’est une
faiblesse sur le plan du fait humain, plan humain qui ne peut être qu’un et universel. N’est-ce pas cette faiblesse que
cherchaient déjà à corriger, sans le dire, certains écrits de nombreux
Prophètes, et cela depuis la Babylonie comme par exemple le Prophète
Isaïe ? Correction que plus tard encore on a appelé la naissance de l’universalisme ; corrections que St Paul surtout, rationalisa et
déploya comme l’une des dimensions essentielles du christianisme. Les
déploiements de cet universalisme, ne sont au final que des efforts pour tenter
de remédier à cette
faiblesse sur le plan du fait humain.
Curieusement - et paradoxalement - chercher à corriger cette faiblesse est à
l’origine de bien des actes de prédations du judaïsme, du christianisme et de
l’islam, y compris de nos jours.
C’est donc là, le complexe
de Moïse. Mais pour notre propos, la prédation comme conséquence du dogmatisme
dévoyé, ce complexe trouve un prolongement et une amplification avec le
christianisme. Ce n’est pas le lieu ici de déployer[26] les raisons qui expliquent la distance qui existe
entre ce qui est dit, le désir d’universalisme, et ce qu’induit concrètement et
pratiquement, la prédation du dogmatisme chrétien basé sur le complexe de Moïse
à travers notamment la mimésis sociétale.
Ce fut donc comme une
méthodologie, le premier aspect de la prédation induite par le dogmatisme, que
les bâtisseurs du vodoun ont dû rejeter avec véhémence et détermination.
SECOND PILIER : LE "COMPLEXE
D’ALEXANDRE".
Le second pilier de la
prédation que les bâtisseurs du vodoun ont refusée est ce que j’appelle le
"complexe
d’Alexandre." On connait
l’histoire ; elle se déploie en deux volets : un mythe et un fait
historique.
Le récit précise que le
monde appartiendrait à celui qui parviendrait à dénouer le nœud gordien. Ce nœud est, selon le mythe, celui qui permettait
d’atteler deux bœufs à un char par l’intermédiaire d’un timon et d’un joug. Ce
n’est pas la place ici pour revenir sur la première partie du mythe qui se
conclut par l’installation du char avec le nœud, comme offrande, dans un temple
de la ville de Gordium, capitale de l’ancienne Phrygie. Le challenge était donc
de dénouer le nœud pour devenir le maître du monde.
En l’an 333 avant notre
ère, quand Alexandre le Grand, roi de Macédoine conquit Gordium, capitale de la
Phrygie, il fut mis au courant de l’existence du char et du récit du mythe qui
promettait le monde à celui qui dénouerait le nœud. Il se fit conduire dans le
temple où se trouvait le char ; là ne parvenant pas à le dénouer, de son
épée, il trancha le nœud.
Depuis, cette action sert
à célébrer Alexandre Le Grand dans le monde occidental au même titre que
l’admiration que suscite son épopée. C’est une approche - trancher le nœud -
qui se retrouve dans nombre de modes d’existences, et qui préside à l’action de
nombreuses sociétés et cultures, le plus souvent associé, ou pas, à du
dogmatisme religieux. Il s’agit d’instrumentaliser la force et ses moyens,
comme voies de résolution de situations, mais cette solution débouche presque
toujours sur de la prédation ; c’est la raison qui me fait parler de complexe d’Alexandre.
Comment comprendre la
problématique de ce mythe ? Problématique qu’Alexandre, roi de Macédoine,
résolut à sa manière, avec une épée.
Nous avons dans ce mythe,
d’un côté le nœud, une structure complexe qui est réalisée par une
personne, et qui pose un chalenge. Maitriser la complexité du nœud - le
dénouer - représente le cœur de ce qu’on pourrait considérer comme un objectif
didactique à atteindre. De l’autre côté, nous avons l’homme à qui
le chalenge est destiné[27] ; mettre les deux en perspective, amène à
considérer que la didactique s’adresse à l’homme. En d’autres termes, que
l’homme dénoue le nœud est le but de la leçon ; la didactique revient à
dire, que quand son
développement aura
atteint un niveau tel
qu’il soit enfin capable de
dénouer la structure, le nœud, l’homme accèdera à un état d’un rang plus élevé
dans la création. C’est un repère qui
signifie qu’à ce niveau de développement, le "monde"
lui appartiendra. En d’autres termes encore, le mythe met en perspective le développement de
l’intelligence de l’homme, sa maturité totale, le développement de ses
capacités cognitives, et la possession effective du monde. C’est donc une programmation que donne le mythe en
fixant un objectif. C’est ce qu’il faut comprendre.
Ce n’est donc pas mettre
en œuvre n’importe quel moyen qu’il faut envisager. En effet, si le monde m’appartient par l’épée,
celle-ci reste dans ce monde-là, et elle interviendra encore et encore...
L’épée interviendra encore, je peux en être assuré, et nous irons alors d’un
monde d’épée à un autre monde d’épée !
C’est hélas, ce que nous
faisons depuis des millénaires. L’erreur fondamentale, y compris de nos jours à
travers notre quotidien d’individu comme à travers celui des nations, est que celui qui possède l’épée pense naïvement,
qu’il en sera toujours ainsi, qu’il détiendra toujours ce moyen pour résoudre[28] tous les problèmes qui se posent ou se poseront à
lui. C’est la raison qui me
fait parler de complexe ; le "complexe d’Alexandre" signe une faiblesse,
y compris conceptuelle car cela consista à traiter la problématique par
l’épée ; ce n’est pas le sens du mythe, mais il faut comprendre.
En effet, le nœud, "construction"
humaine, n’est pas un problème insoluble par nature. Par ailleurs, un
problème insoluble pour l’homme d’aujourd’hui, peut attendre que l’homme de
demain devienne capable de le résoudre, si c’est une question de
capacité ; dans ce mythe, c’est le cas du nœud fait par l’homme.
Là aussi, le principe de
réalité (Lêgba) doit jouer. Mais pour cela, il faut répondre à la
question : que
signifie posséder le monde ? C’est cette question qui
doit découler d’une bonne compréhension de la problématique que pose le mythe.
Dans son ouvrage[29], Le nœud
gordien, Georges Pompidou
considérait les défis qui se posaient à son époque comme une problématique de
type nœud gordien, mais dans son sens ordinaire de problèmes insolubles.
C’est le christianisme
qui va réunir les deux complexes de façon institutionnelle et radicale, celui
de Moïse et celui d’Alexandre. Le christianisme n’est aucunement à l’origine de
ces deux complexes, ces deux voies de la prédation, mais c’est lui qui va leur
donner une dimension quasi divine après sa victoire sur l’empire romain dont il
prend la place, la suite, et la stature. Le christianisme a fait cela, mais en
déléguant le complexe
d’Alexandre aux structures
politico-étatiques sous sa férule, celles qui relèvent de sa mimésis sociétale,
et encore aujourd’hui. "L’épée
des États doit être aux services de la foi" pourrait être la règle de fonctionnement.
Une règle qui va subir des modulations pendant des siècles. L’expression,
"hors de
l’Église, point de salut ! "
d’ecclésiale à son origine en l’an 250 environ, est devenue peu à peu
théologique, pour passer vers la fin des années quarante, dans la clandestinité
pourrait-on dire, à partir de l’affaire Feeney[30]. En effet, si la formulation est rejetée avec
vigueur, son esprit et sa dimension théologique demeurent ; il suffit pour
s’en convaincre de reprendre les constitutions dogmatiques du concile Vatican 2, en
particulier, la constitution dogmatique Lumen Gentium.
Mais surtout, le judaïsme
et le christianisme ont généré une structure sociétale, une mimésis sociétale,
dans laquelle les deux complexes interviennent sans toujours se référer à la
distinction théologique des origines, celle qui fut initiée par Akhenaton. Ils
y sont implicites et interviennent comme une seconde nature dans ces mimésis ;
rien de plus redoutable qu’une "seconde nature," elle se suffit du
ritualisme ; redoutable car la réflexion est y exclue !
Il convient, pour aller
plus loin, de reprendre brièvement l’analyse de l’action d’Akhenaton dans sa
motivation, dans sa finalité et dans son résultat. En d’autres termes, il faut
nous poser la question de savoir quelles sont les options éventuelles qui s’offrent à qui veut se faire un disciple et
un continuateur d’Akhenaton comme le serait Moïse par
exemple. C’est-à-dire une personne qui doit prendre des dispositions dans
son entreprise pour éviter l’échec, et ainsi en garantir la réussite[31].
En fait, seules deux options se présentent au choix d’une telle personne. Mais
commençons par préciser que l’idée d’un Dieu unique est plus ancienne ; au
moins en tant que concept fondamental, cette idée se retrouve dans bien des
textes très antérieurs à Akhenaton.
La première option est
connue, c’est celle qu’avait retenue Moïse, car christianisme et islam ne sont
que des modulations de cette première option, même si leurs altérités sont très
profondes et originales par certains de leurs côtés, et surtout par leurs dimensions
actuelles. Rappelons les éléments constitutifs de cette option.
* - La distinction qui est faite entre vrai dieu et faux
dieu. Elle nécessite une mimésis sociétale propre, d’où en conséquence :
la nécessité d’un peuple spécifique distinct ; c’est là, la raison de la
création d’un peuple "élu" qui doit se situer face aux autres peuples. Il faut préciser ici que la fonction psychologique d’un "ennemi" n’est pas à négliger dans l’effort didactique et
dans la combativité de ceux qu’on veut piloter ;
parfois, la prédation peut consister dans un premier temps à "créer"
cet ennemi.
* - Un peuple qui doit élaborer une mimésis sociétale
capable de réaliser les deux distinctions, celle qui passe entre les dieux et
celle qui passe entre les hommes.
La conséquence de
l’ensemble est le dogmatisme religieux, mais un dogmatisme qui instrumentalise
à un niveau jamais atteint probablement, la nature prédatrice de l’homme. On
comprend que cette option débouche sur la prédation régulière et généralisée
qu’on retrouve toujours dans l’option mosaïque et dans les deux modulations qui
en sont issues, et cela de façon continue ; mais ce sont des prédations
qui connaissent des phases à intensités variables.
Cette option fait
fonctionner également des modes d’existence qu’elle a générés, mais qui se sont découplés plus ou moins profondément de la fonction cultuelle religieuse sans pour
autant cesser de promouvoir la prédation ; c’est le cas notamment dans une
grande partie de l’Europe actuelle.
La question est de savoir
si, à partir de l’œuvre d’Akhenaton et de son échec, on pouvait faire appel à
une autre option que celle que retint Moïse.
La réponse est oui, comme
nous allons le voir. Une autre option est possible en effet, qui donne lieu
elle, à une construction qui lui est propre y compris par la mimésis sociétale
qu’elle s’emploie à générer sans pour autant appeler à une distinction qui
passe entre les hommes et les sépare.
La possibilité de cette
seconde option peut se comprendre également à partir des caractéristiques de
l’œuvre d’Akhenaton ; mais d’emblée, elle va beaucoup plus loin sur le
point fondamental de la pensée du pharaon, c’est-à-dire plus loin sur la
distinction entre vrai dieu et faux dieu. En effet, Akhenaton fit du disque
solaire Aton, le seul vrai dieu et modula une nouvelle religion centrée sur ce
disque. Il s’agit sur ce point, d’abord d’une "épuration" du
panthéon.[32]
Dans l’option qui nous
occupe, l’option n° 2 appliquée au vodoun, il n’est considéré aucun
panthéon ; non, il y a
Dieu, et tout le reste. Un reste qui n’est pas
lui, et qui au mieux, donne corps à des outils. La distinction
est : Dieu
d’un côté, unique absolu, inconnaissable,[33] et de l’autre, tout le reste… qui ne peut être
dieu. (Et
c’est là que nous retrouvons les bâtisseurs du vodoun avec le concept Mawu).
Ce n’est donc pas une
vraie distinction à ce niveau mais la reconnaissance d’un absolu qui est unique. Il ne s’agit plus de "trier" des
divinités pour en proclamer une qui serait l’âme d’une vraie religion ; ce qu’avaient
fait Akhenaton et Moïse.
Pour l’option 2, je le
redis : il y a Dieu, et c’est tout ! |
Une
remarque :
Nous sommes là dans une
conception dualiste
absolue ! Le dualisme dans
cette option est d’une pureté qu’aucun système - religieux ou pas - n’a encore
atteint. En effet, nous avons Dieu d’une part, et ce qui n’est pas lui, de
l’autre ; le lien entre les deux, c’est le continuum de potentialités[34].
Il n’y a pas un monde
angélique et diabolique… ou je ne sais quoi encore, peuplé de cette faune que
seraient les anges, la cohorte de diables… qui pullulent[35] dans l’imaginaire et l’imagerie du judaïsme, du
christianisme ou encore de l’islam, mais aussi de l’Hindouisme… Toute une faune
qui pollue le dualisme véritable.
En dehors de cette reconnaissance absolue d’une divinité unique, cette option ne peut proposer
aucune religion qui serait à son
niveau, comme Akhenaton et Moïse l’avaient fait dans leurs actions pour
les deux vrais dieux qu’ils avaient retenus. Nous retrouvons encore ici l’absence de culte pour Mawu ; absence que plusieurs auteurs ont déplorée depuis
plus d’un siècle sans comprendre. |
Remarque.
Je parle là de dualisme que je
dirais théologique ; en fait c’est le seul dualisme
véritable ! L’autre, le dualisme qui concernerait le corps et l’esprit n’est qu’une vue de l’esprit, ou pire, une
hypocrisie. Ce dualisme-là ne peut en aucun cas, être pris au sérieux. En
effet, je ne vois pas la beauté,
la bonté, la charité, la justice, la haine, la compassion, la fureur, la joie… se promener toutes seules dans les rues ! Il
faut un corps pour les porter et leur donner existence, et donc leur permettre
d’entrer en interaction ! Le corps est incontournable… simple question de
bon sens encore !
UNE
DISTINCTION SECONDAIRE.
Il y a cependant une distinction
également dans l’option 2 ; elle intervient au niveau de ce que nous avons
appelé "tout le
reste !" qu’on peut rendre
encore par création. Cette distinction est une nécessité, étant donnée
la nature ritualiste de l’homme ontologiquement parlant, étant donné également
le besoin absolu de sa croissance complète.
La distinction est d’ordre magistériel ; nous verrons pourquoi il ne peut en être
qu’ainsi. Elle concerne le
magistère de la foi et le magistère de la raison ; ces deux données doivent être considérées
sur le plan ontologique de l’Être humain, et seulement là. Il ne s’agit pas de
la foi qui serait la reconnaissance et la célébration de l’unique divinité, car
cette reconnaissance-là n’est ni d’ordre rituel ni d’ordre ontologique, si nous
nous référons par exemple au signifié de Mawu, ou encore au contenu d’Exode 33.
Les deux
magistères qui sont distingués dans cette seconde option ne peuvent donc pas
concerner Dieu.
La question demeure de
savoir qu’elle est la finalité d’ensemble. Or cette question concerne autant la
seconde option que la première. En fait, la question concerne l’action d’Akhenaton,
celle de Moïse et de tous les systèmes qui en découlent. En effet, la seule reconnaissance de Dieu ne suffit pas, y compris l’adorer ; il faut savoir ce qu’Il peut être, même si on ne peut L’atteindre. Il faut accéder aussi à la raison pour
laquelle l’homme doit
posséder ce savoir. Nous y
reviendrons. Reprenons notre examen de la seconde option.
La distinction
magistérielle de cette option porte sur deux caractéristiques ontologiques de
l’homme qui sont la ritualité et la propension à s’interroger. Ces deux
caractéristiques se placent dans ce que nous venons de dire concernant ce qui
rend la distinction nécessaire quand on se situe du côté de l’homme, et
seulement là.
Au niveau de la première
caractéristique, se déploie la foi cultuelle et ritualiste, mais comme cela ne peut concerner aucune divinité véritable, cette foi s’adresse à des objets-outils, des
concepts… avec lesquels le
rituel établit un contrat précisément parce ce n’est pas en direction d’une
divinité véritable ! C’est un magistère de la foi qui est
essentiellement sous la forme de contrats ; le rituel organise donc la mise en œuvre de ce contrat. Ce n’est donc pas une foi comme celle que le
christianisme ou le judaïsme, appellent la foi théologale.
Quant à la propension à s’interroger, la
seconde caractéristique, c’est le magistère de la raison qui la
met en exergue. Il le fait pour organiser la cognition en dehors de tout acte
de foi ou de croyance, sauf à considérer, et donc à croire, que ce magistère
est le seul qui permet à l’homme d’accéder à la connaissance.
Il semble que nous soyons
là en présence de l’option
qu’auraient retenue les bâtisseurs du vodoun, s’ils devaient chercher à éviter l’échec qu’avait
connu l’action d’Akhenaton, et s’ils avaient le même objectif que le pharaon,
mais également s’ils avaient cherché à éviter absolument la prédation inhérente aux deux distinctions de
Moïse. En effet, nous
avons :
1 – la proclamation d’un dieu, unique créateur qui
conceptuellement se positionne comme ce à quoi l’homme peut avoir connaissance grâce au principe de raison, mais qu’il ne peut atteindre ; nous avons dit que c’est d’un niveau
conceptuel inégalité. Il s’agit de Mawu.[36]
2 – Des outils, objets-concepts qui sont dits
"vodoun," qu’il ne faut surtout pas traduire ni considérer comme des "divinités," comme l’ont souligné tous ceux qui ont étudié
attentivement le système vodoun ; c’est le cas par exemple de Bernard
Maupoil.
Ces deux points ne
constituent pas une distinction à la manière de celle d’Akhenaton ou de Moïse,
mais ils représentent des fondamentaux dont seul le second concerne l’homme en
actes, alors que la "connaissance" du premier est une visée.
L’option n° 2 présente
ainsi une distinction à sa
manière, c’est celle qui porte
sur les deux éléments : la ritualité à travers le magistère de la foi, selon ce que nous
venons de dire ; et la propension à s’interroger à travers le magistère de la raison.
Le premier magistère
satisfait à la ritualité de l’homme comme un élément incontournable de sa
nature ; un élément qui est par ailleurs le pilier de la mimésis sociétale
qui constitue la trame de son existence. Dans le vodoun, ce magistère sert de
porte d’entrée à la conquête des fondamentaux du système. Ce magistère diffère
structurellement et conceptuellement de la foi selon la démarche d’Akhenaton,
de Moïse et de celle de ses avatars comme le christianisme et l’islam. Redisons
que la différence porte sur le fait que l’acte cultuel ne s’adresse pas à la
divinité, nous en avons examiné les raisons.
Le second magistère est
celui de la raison. Sa fonction est d’organiser la cognition en veillant à en
tenir la méthodologie hors de toutes croyances et de tout argumentaire de foi.
UNE MISE AU POINT ESSENTIELLE.
À ce point du propos, il
me faut préciser que je ne
dis absolument pas que les bâtisseurs anonymes du vodoun avaient
retenu cette seconde option ; je n’en sais absolument rien !
Je dis expressément
par contre que tout le contenu du vodoun, mode d’existence,
tel qu’il apparait dans notre parcours, correspond
point par point aux éléments de constructions conceptuelles et pratiques qui
découlent de cette seconde option, y compris dans leurs conséquences, notamment
l’absence d’instrumentalisation des penchants de l’être humain pour en faire
des outils de prédation.
Il s’agit donc d’une conjecture qui s’appuie sur
des données effectives, dès lors que nous considérons des bâtisseurs qui ont
choisi de rester anonymes.
Plus précis encore :
Par ailleurs, je dois ajouter que cette seconde
option peut s’élaborer sans aucune référence à la révolution d’Akhenaton ni aux deux
distinctions de Moïse.
La seule pensée conceptuelle animée par la
connaissance fine de l’être humain peut la produire dès lors qu’on se fixe
comme objectif l’accès de l’homme à l’humanisme entendu comme ce qui place
l’homme intellectuellement au-dessus de tout ce qui fait la création. Cela peut
être le choix aussi de ceux qui sont à l’origine de ce que nous appelons
vodoun, mode d’existence, les bâtisseurs, les fils de la pensée, qui n’auraient rien à
voir avec les distinctions d’Akhenaton et celles de Moïse. Il leur aurait suffi
de partir de la définition Mawu, le dualisme absolu, qu’ils avaient
conceptualisé, c’est-à-dire Dieu d’un côté et tout le reste de l’autre, et d’en
tirer toutes les conséquences logiques ; ces conséquences sont ce que nous
retrouvons dans les fondamentaux du vodoun, mode d’existence, leur œuvre.
UNE CONCLUSION.
Mon sentiment est que l’œuvre des
bâtisseurs du vodoun relève plutôt de ce second aspect plus fondamental,
conceptuellement parlant, et non d’une conséquence de l’échec d’Akhenaton comme
l’est l’œuvre de Moïse. Ils ont fait, ces bâtisseurs, une œuvre
totalement autonome et fondée sur une réflexion approfondie. En effet, si on
prend la construction de Moïse, on y retrouve très rapidement les séquelles de
la démarche d’Akhenaton, soit pour le sublimer, par exemple la distinction entre
vrai et faux dieu ; soit pour l’ostraciser. On retrouve ainsi dans certains
textes de l’hébraïsme comme les psaumes par exemple, des éléments qui viennent
de l’Égypte pharaonique, mais aussi des appels à un rejet absolu de tout ce qui
vient d’Égypte ou qui se fait en Égypte… Dans le vodoun nous n’avons rien qui
pourrait relier la construction à la mimésis égyptienne. Le vodoun est une
œuvre gigantesque, réalisé par des auteurs anonymes, qui partent d’un dualisme
absolu : Un Dieu, Mawu, formalisé par le principe de raison et
défini comme ce que nul ne peut atteindre. Les conséquences
sont :
- Absence de culte pour Mawu.
- Absence de mysticisme, entendu comme une
relation individuelle et personnelle avec le Tout-Puissant.
- Absence d’eschatologie.
- Une définition de l’Être qui englobe tout ce qui
n’est pas Dieu, la création, mais aussi l’Être-Suprême.
- Un mythomoteur et une mimésis
sociétale fondés sur un dualisme absolu.
- Une distinction magistérielle qui concerne uniquement
le second pan du dualisme, tout ce qui n’est pas Dieu, et qui est fondé sur les
deux principales caractéristiques de l’homme : le
ritualisme et la propension irrépressible à s’interroger.
- Une cognition qui est basée sur l’être,
et seulement sur lui.
Nous sommes loin, très loin de la distinction
d’Akhenaton comme de celle de Moïse, parce que cette construction ne peut
instrumentaliser quoi que ce soit de l’être pour amplifier la nature prédatrice
de l’homme. Toute cette réflexion est une manière de reconnaissance
et d’hommage à ceux qui ont imaginé et construit ce système que nous appelons
vodoun.
Il y a un gigantesque pourquoi auquel nous devons nous intéresser au nom du bon
sens élémentaire, l’outil auquel nous avons constamment fait appel. Ce pourquoi
concerne aussi bien l’œuvre d’Akhenaton que celle de Moïse, mais il concerne
également l’enseignement de Jésus et de Mahomet. L’interrogation porte sur la
question de la finalité que poursuivent toutes ces démarches y compris la seconde
option. Certes, avoir la foi et s’en servir comme guide, autant pour la
construction personnelle que pour la société et la mimésis sociétale est une
raison suffisante ; avoir la foi en un Dieu peut procéder du dessein de ce
Dieu. Mais tout cela ne peut constituer une justification suffisante ;
car, si la ritualité est satisfaite parce que mise en œuvre, et parce
qu’elle apporte la plénitude, il reste la propension à s’interroger pour
atteindre la plénitude ontologique. Voilà pourquoi, la finalité ultime peut
être d’avoir accès à
ce que recouvre le terme dieu, quelle que soit la
facette qu’on choisit de privilégier. En effet, véritablement, ni Akhenaton ni
Moïse ni aucun fondateur de religion tel Jésus ou Mohamed… ne nous apprennent
véritablement ce qu’est Dieu ; il ne s’agit pas d’y accéder, Exode
33 est clair sur ce point, de même que le Tao dans une perspective moniste, ou
encore le signifié du terme Mawu… mais d’en avoir une connaissance qui résulterait de la propension ontologique de
l’homme à s’interroger. Or
cette connaissance ne peut venir que du magistère de la raison, et en aucun cas
du celui de la foi ! Ce que nous
apportent Akhenaton, Moïse, Jésus …etc. relève uniquement du magistère de la
foi ; méthodologiquement, la raison ne se situe pas à ce niveau !
Nous sommes donc loin,
très loin d’avoir cette connaissance qui ne peut venir que de ce que nous
considérons comme les sciences
exactes aujourd’hui.
C’est-à-dire, une connaissance qui, une fois établie, ne dépende pas des
opinons ou des croyances ou des confessions et adhésions. Il faut que ce soit
donc une connaissance dont le seul
paradigme vienne de l’axe Est-Ouest tel
que le vodoun le définit ; il faut que ce soit une connaissance objective. Mais, cela ne suffirait pas ; ce ne serait
pas suffisant de savoir
ce qu’est Dieu ; il faudrait
encore que nous puissions saisir à
quoi une telle connaissance nous "conduirait" et nous
"servirait." Le gigantesque pourquoi évoqué ci-dessus se déploie donc en deux facettes, à savoir accéder à la connaissance, et
comprendre la finalité d’une telle connaissance. Ces deux aspects ne
peuvent être accessibles que par le magistère de la raison, de la distinction magistérielle, celle que préconise et met en œuvre le vodoun. Le
déploiement des deux aspects de la question ne relève pas de notre propos actuel.
Notons seulement que l’approche qui y conduit ne peut prendre que le chemin de
la cognition. Plus précisément la réponse à ce gigantesque pourquoi en ses deux volets ne peut provenir, redisons-le,
que du magistère de la raison, en écartant les opinions, aussi enrichissantes
soient elles, mais aussi en écartant les convictions, quelle qu’en soit la
nature. L’outil est donc, comme nous l’avons vu, de l’ordre de ce que nous
appelons aujourd’hui les sciences
exactes, c’est-à-dire une
science telle que les résultats qu’elle donne, une fois établis doivent se
passer de tout tuteur, sans exceptions.
Pour nous résumer sur le point des distinctions, nous pouvons envisager pour terminer, le schéma
suivant ; schéma sur lequel nous regroupons la démarche d’Akhenaton et les
deux options possibles qui peuvent permettre d’éviter l’échec qu’avait connu la
démarche du pharaon. Reste bien sûr, le gigantesque pourquoi. Le schéma suivant
résume tout ce que nous venons d’examiner.
© Paul Aclinou
Nous pouvons reprendre le
cours de notre propos pour examiner la dernière facette que les bâtisseurs du
vodoun, les fils
de la pensée, avaient mis en œuvre
pour assurer le succès de leurs constructions : la facette qui laisse le
temps qui est indispensable à la maturité de l’homme ; c’est une
nécessité.
Nous avons souligné à
plusieurs reprises que la contractualisation est la
règle dans le fait religieux ; il semble que c’est également une
conséquence du refus du dogmatisme. Mais elle découle tout naturellement de la
distinction qui relève de la seconde option que nous venons d’examiner, en cela que si dans
"tout le
reste," il n’y a aucune
divinité, alors, aucune adoration ne peut se situer à ce niveau[37]. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la
contractualisation ne remet pas en cause l’acte de foi qui signerait la
reconnaissance d’un Être-Suprême créateur, comme nous l’avons montré en
déployant la notion même d’Être-Suprême Mawu et sa perception. C’est au niveau
de cette dernière qu’il y a spécificité dans le vodoun.
Contractualisation veut
dire aussi responsabilité et donc conscience de soi ; c’est donc formateur
d’une prise de conscience de sa place et d’altérité pour peu qu’on ait
conscience de sa personne ; c’est la condition.
Quand on considère la
première affirmation de l’argument ontologique selon Saint Anselme de
Cantorbéry et le signifié du terme Mawu, il y a une identité rigoureuse comme
nous l’avons déjà souligné, sauf que le vodoun se place d’abord du point de vue
de la capacité humaine de cognition objective. Le vodoun se démarque ainsi
radicalement au niveau de la pratique, que ce soit par la conséquence qui
découle de cette reconnaissance[38], ou bien que ce soit par l’action religieuse au
quotidien de l’individu, c’est-à-dire la réalité de la contractualisation qui
nous occupe.
Le vodoun ne met pas
seulement en pratique le refus du dogmatisme orienté et dévoyé ; il souligne en quelque sorte l’éminence du dogmatisme véritable, c’est-à-dire celui qui affirme la capacité
cognitive de l’homme en privilégiant le seul paradigme véritable qui est la raison. En d’autres termes, seule
la possibilité d’accès à la pensée compte pour les bâtisseurs du vodoun. La
raison, et seulement elle, doit être prise en compte véritablement.
Il ne faut pas se laisser induire en erreur par la
réalité quotidienne, car celle-ci reflète davantage la mimésis sociétale et la
nature ritualiste de l’homme que les fondamentaux, qui dès lors sont en
attente. Nous le voyons à travers la caractéristique
générale du cultuel, c’est-à-dire la contractualisation qui y est la règle. Nous
le voyons également dans la mise en œuvre de l’art divinatoire selon Fa, à
travers notamment, la possibilité de refus du dou par l’individu, possibilité qui est
laissée à sa seule discrétion, mais qui pourtant,
n’est nullement arbitraire ; il faut qu’on y applique la raison. C’est
encore la pensée qui est mise en avant.
Il apparait que les
bâtisseurs du vodoun ont poussé très loin leur réflexion sur le dogmatisme
véritable ; ils l’ont fait en ayant comme unique objectif, l’homme dont
ils connaissaient aussi bien la nature que ses capacités ; ils ont bâti
ainsi un système qui tient compte de cela mais en fournissant leur vision sur
les moyens d’aller de l’avant. C’est le cas par exemple de l’art de la
cognition à travers les axes
et les interactions. Ils avaient semble-t-il,
un souci constant : éviter à
tout prix la prédation, incontournable dans un dogmatisme orienté.
Nous pouvons parcourir brièvement l’histoire
de notre humanité ; par exemple, nous pouvons porter le regard sur notre
histoire des trois ou quatre derniers millénaires. L’essentiel de la vie de nos
sociétés repose sur des dogmatismes qui sont fondés sur des figures dont trois
ou quatre majeures ; ce sont : Moïse, Bouddha, Jésus et Mahomet.
Ce n’est pas le dogme qui s’est installé à
partir de leurs propos qui pose problème, mais ce que l’homme en a fait et
continue d’en faire au quotidien, y compris par l’intermédiaire des modes
d’existence qu’ils ont générés.
Il suffit de considérer simplement le dernier
millénaire pour frémir devant ce que les zélateurs de ces quatre figures ont
fait endurer à l’homme en de multiples périodes et en divers lieux[39].
Cette prédation est aussi ce que nous apprennent des travaux d’historiens,
comme Arnold J. Toynbee, mais il n’est pas le seul. Dans
tous ces cas, ce ne sont
pas les enseignements qu’ont dispensés ces figures qui posent problème en
général, mais ce que nous en
avons fait, en commençant par les transformer en dogmes religieux, qui à leur
tour, débouchent sur des modes d’existence dogmatiques dans lesquels le fait
religieux peut ne plus apparaitre explicitement, comme c’est le cas en Europe
actuellement. En effet, ce n’est pas d’écrire la loi qui est l’essentiel[40], mais d’assurer sa mise
en œuvre, car cette mise en application est tributaire de la nature de l’homme
et des modes d’existence. Ceux-ci intègrent au premier chef la nature
prédatrice de l’homme.
Quand la loi, ainsi enchâssée dans le mode
d’existence, est pilotée par le dogme que nous avons bâti autour de ces
figures, les résultats peuvent donner le frisson, car sa dynamique est décuplée
dans toutes ses facettes. C’est sans doute, conscients de cela, et le jugeant
inévitable quand on institue une figure de proue, que les bâtisseurs du vodoun
ont opté pour l’anonymat.
C’est une attitude qui paraissait
indispensable selon eux, au rejet farouche du dogmatisme, source de prédations
à l’extrême. En adoptant cette attitude, il semble là encore, que ce soit une
autre conséquence qu’ils aient tirée du signifié de Mawu,
l’Être-Suprême. (Ce que nul ne peut atteindre).
Le judaïsme dit "quand il est l’heure
de combattre pour Dieu, on peut violer la loi de Dieu". Est-ce
vraiment pour Dieu qu’un tel combat est mené ? Et en quoi Dieu aurait-il
besoin que l’on combatte pour Lui ? N’est-ce pas in fine, considérer Dieu comme
un vulgaire roi, empereur, ou autre potentat… qui eux ne sont ce qu’ils sont,
que parce qu’il y a des hommes et des femmes qui acceptent qu’il en soit
ainsi ? En d’autres termes, un tel "combat" n’est-il pas
simplement la négation de fait, de la toute-puissance divine ? Peut-être
n’en n’avons-nous pas conscience !
Le christianisme dit[41] "Tuez-les
tous, Dieu reconnaitra les siens !" Mais alors, qu’est-ce
qu’il y a dans la Création qui n’est pas à Dieu ? Ou alors, de quel Dieu parlons-nous ?
L’islam dit "Tuez-les…
on vous donnera vierges et délices au Paradis !"
Mais alors, où est
l’esprit ? Où est la spiritualité ? Où est l’Homme ? Et la femme
ne servirait-elle qu’à ça… la femme, l’unique "logiciel" que nous
ayons pour aller d’un être humain au suivant ?
Alors, non ; on
ne peut pas prier comme le faisaient certains tous les matins, il n’y a pas si
longtemps encore : "Seigneur, je te remercie de ne pas m’avoir
fait femme !"
La pensée de la Grèce
antique et l’hindouisme nous disent que l’humanité va d’Âge en Âge ;
quatre âges au total doivent être parcourus, le dernier est l’âge de fer[42],
le Yuga de Kali, celui dans lequel nous serions ; ce serait aussi
celui dans lequel les hommes seraient de plus en plus mauvais… préfiguration de
la disparition de cette fournée…
Alors, non ! Non,
pour une telle désespérance.
Tel est, semble-t-il,
le message de ceux qui ont construit le vodoun ; eux qui croyaient à
l’espoir et qui portaient l’espérance chevillée au corps, nous pouvons en être
certains.
Pour
finir vraiment mon propos, il me reste à avouer une préoccupation. Elle porte
sur le fait que j’ignore si les bâtisseurs du système vodoun ont eu raison
d’écarter résolument le dogmatisme et la prédation qui lui est indissociable.
En effet, je dois dire que jusqu’à présent, notre parcours depuis dix ou quinze
mille ans montre que nous n’avons eu que le dogmatisme pour cerner même
imparfaitement, une caractéristique de l’être humain, celle de ne pas pouvoir
refuser d’aller "regarder derrière une porte" s’il pense qu’il y a
quelque chose derrière cette porte, quel qu’en soit le coût pour lui ; et
cela, même s’il court un risque mortel et qu’il le sait[43]. Pire, il ne peut pas s’empêcher
de le faire même s’il sait qu’il met d’autres en péril.
Le
dogmatisme nous a servi à encadrer cela, même en ayant recours à l’unique
solution que nous ayons trouvée pour régler un problème : la guerre.
La parade à cela fut et reste encore le dogmatisme dévoyé, celui des religions,
mais aussi celui de tous ceux, individus ou systèmes, qui sont persuadés de
détenir une "vérité". Ce dogmatisme-là se veut un raccourci ;
c’est sans doute cela le raccourci qu’ont refusé les bâtisseurs du vodoun,
préférant donner le temps à l’homme de parvenir à une humanité apaisée.
Cela ne peut être possible qu’en chevauchant le concept amêdjro.
C’est
donc un pari qu’ont fait ceux qui ont bâti le système vodoun en écartant le
dogmatisme dévoyé, pour privilégier un chemin plus long, plus périlleux aussi,
car quel que soit le chemin raccourci, le ritualisme et la nature prédatrice de
l’être sont incontournables. Et seule une prise de conscience qui place l’homme
au niveau le plus élevé dans le conceptuel peut servir de garde-fou.
Voilà
sans doute pourquoi, ils ont fait le pari de la contractualisation et de
la primauté de l’Être, c’est-à-dire amêdjro, personne désirée…
L’autre est désiré en tant qu’Être ;
il est désiré par le seul fait qu’il EST !
Ensuite, ensuite seulement le relationnel peut entrer en ligne de compte.
Pour
autant, nul ne peut dire s’ils ont eu raison, quand bien même, on admire qu’ils
aient placé l’Être à un si haut niveau de conceptualisation.
Le texte de cette réflexion fait
partie d’un ensemble ; merci de ne pas le reproduire sans autorisation. ©
Paul Aclinou
ANNEXES
Quelques définitions.
Une définition :
mythomoteur.
Nous pouvons définir un mythomoteur comme l’ensemble des
concepts, des croyances, des mythes et des attitudes mémorielles ou factuelles,
sur lesquels un peuple, une société, un groupe humain, ou même un individu…
se fonde pour réaliser le nourrir son corps et le nourrir son esprit,
tant au niveau de l’individu qu’à celui du groupe. Le mythomoteur structure ainsi les relations au sein de la société, comme
il détermine et oriente ses interactivités avec d’autres groupes, peuples
ou sociétés.
Voici quelques exemples de modes d’existence. (© Paul Aclinou)
Nous allons tenter de cerner la différence de fonctionnement entre les
deux premiers, le mode d’existence du vodoun et celui du christianisme.
Fonctionnement du mode d’existence vodoun : (© Paul Aclinou)
Fonctionnement du mode d’existence chrétiens : (© Paul Aclinou)
Celui du vodoun répond à une conceptualité
absolue tandis que celui du
christianisme répond à une ritualité
absolue.
La mimésis sociétale.
La mimésis sociétale
est un élément important qui intervient dans la mise en œuvre des composants du
triptyque. Il intervient également dans la structuration du vodoun, fait
religieux ; et là, nous sommes dans le cas général, car il fait corps avec
tous les systèmes de croyances qui existent. Souvent, il conforte également le
vodoun, mode d’existence.
Définition.
Nous pouvons définir
la mimésis sociétale comme une
structure de pensée qui, chez l’individu comme dans le groupe social, calque
les constructions mentales sur la structure,
l’organisation et les mécanismes de fonctionnement de la société, ou sur seulement certains aspects de
ces éléments. En particulier, il peut s’agir des prérequis et des
ressentis qui sont à la base du fonctionnement des sociétés.
Cette structure de
pensée, la mimésis sociétale, suit
les évolutions de la société et celles de son parcours, selon les objets
mentaux que sont les croyances, les mythes, les espoirs et les craintes, les
tensions… toutes choses que les hommes utilisent comme tuteurs de leur
existence et de leurs actions, et qui forment le socle des modes d’existence
dont ils relèvent. Cela est d’autant plus fortement prenant que l’individu n’est
pas sevré.
Une remarque.
Fa est inscrit à
l’Unesco depuis 2008 au titre du patrimoine immatériel de l’humanité ;
c’est une excellente chose. Mais à mon avis, l’ensemble de la construction par
sa didactique et par son niveau conceptuel peut aussi prétendre à cet honneur.
Le texte de cette réflexion fait
partie d’un ensemble ; merci de ne pas le reproduire sans autorisation. ©
Paul Aclinou (Cléo SGDL)
Paul Aclinou (En savoir un
peu plus sur moi) : Un homme,
une culture (interview de
2019)
https://www.lesimpliques.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=complement&no=18761
Ou
https://www.lesimpliques.fr/auteurs/article_pop.asp?no=34653&no_artiste=14288
VOIR
AUSSI :
http://planeteafrique.com/amis/Index.asp?affiche=News_display.asp&ArticleID=884&rub=IciAilleurs-Thematique
https://adacpaul.wordpress.com/author/adacpaul/
Diplômes :
Doctorat
d’État Es-Sciences.
Licence de théologie (baccalauréat
canonique)
Paul Aclinou
est né au Bénin, (alors le Dahomey) ; après le baccalauréat, il passe quelques
années à Dakar, au Sénégal avant de rejoindre la France où il prépare et
soutient une thèse de doctorat d'État en Sciences Physiques, mention chimie.
Ses activités
professionnelles d’enseignant-chercheur (Université de Reims, Algérie puis
Reims à nouveau) – synthèse totale en chimie organique ; études et
synthèses de substances chimiques biologiquement actives d’origine végétale-
sont conduites en parallèle avec une réflexion sur l'Homme et sa société ;
réflexion qui a pour point de départ la culture et la pensée des peuples du
golfe du Bénin : le vodoun. C’est cette culture, la sienne qu'il invite à
découvrir en profondeur.
Cette réflexion sur
l’homme se porte également en direction du christianisme ; intérêt qui est
concrétisé par une licence de théologie.
Bibliographie. (Extrait)
Aclinou, Paul ; Le
vodoun : leçons de choses, leçons de vie. Le continuum de potentialités ;
Les Impliqués, L’Harmattan éditeur, Paris 2016. (Noté LCLV dans le
texte.)
Aclinou, Paul ; Une
pédagogie oubliée : le vodou ; L’Harmattan éditeur, Paris
2007.
Adjou-Moumouni, Basile ; Le
code de vie du primitif ; t.1 à 4. Édit. Ruisseaux d'Afrique, Cotonou
2008 -2012.
Maupoil, Bernard, La
géomancie à l’ancienne côte des esclaves ; éditeur : Institut d'Ethnologie
; Travaux et mémoires (1943) ; 4éme réédition, Paris 1988.
Quenum, Maximilien ; Au pays des
fons. Us et coutumes du Dahomey ; Maisonneuve et Larose, (1938) ;
seconde édition, Paris 1999.
Verger, Fatumbi Pierre ; Éwé. Le verbe
et le pouvoir des plantes chez les Yoruba ; Maisonneuve et Larose,
Paris 1997.
Métraux, Alfred ; Le vaudou
haïtien ; Gallimard, Paris 1958.
Assmann, jan ; Moïse l'égyptien ;
Aubier, Paris, 2001.
Assouly, Olivier ; Les nourritures
divines ; Actes Sud, Paris 2002.
Balandier, Georges ; L’Afrique
ambiguë ; Plon, Paris 1969.
Balandier, Georges ; Sociologie de
l’Afrique Noire ; Puf, Paris 1963.
Balard, Martine ; Dahomey 1930 :
Mission Catholique et culte Vodun ; L'Harmattan, Paris 1999.
Bloch,
Ernst ; Le Principe espérance, tome 1, Gallimard, Paris 1976.
Boucher, André ; À travers les
missions du Togo et du Dahomey ; Pierre Téqui éditeur, Paris 1926.
Bouche, Pierre ; La Côte des
Esclaves et le Dahomey ; Plon, Paris 1885.
Boudre, Daniel ; Fétiches de l’ancienne
Côte des Esclaves ; éditions Toguna, 2014.
Cornevin, Robert ; La République
Populaire du Benin. Des origines dahoméennes à nos jours ; Maisonneuve
et Larose, Paris 1981.
Cornevin, Robert ; Histoire du
Togo ; éditeur, Berger-Levrault, Paris 1969.
Fauvelle, François-Xavier (dir.) ; L’Afrique
Ancienne ; Belin, Paris 2018.
Gould, Stephen Jay ; Et Dieu dit :
" Que Darwin soit ! " ; Seuil, Paris 2000.
Griaule, Marcel ; Dieu d’eau ;
Fayard, Paris 1966.
Hurbon, Laënec ; Dieu dans le
vaudou haïtien ; Nouv. Édi. Maisonneuve et Larose, Paris 2002.
Iroko, A. F. ; Les Hula ;
Les Nouvelles Éditions du Bénin, Cotonou 2001.
Laude, Jean ; Les arts de
l’Afrique Noire ; Société Nouvelle des Éditions du Chêne, 1988.
Le Hérissé, Auguste ; L’ancien
royaume du Dahomey, mœurs, religion, histoire ;
(1911) Hachette livre – Bnf, Paris 2014.
Rousse-Grosseau,
Christiane ; Mission catholique et choc des modèles culturels en
Afrique ; L'Harmattan, Paris 1992.
Saint
Anselme ; Proslogion, trad. B. Pautrat ; Garnier Flammarion,
1993.
Soler,
Jean ; La violence monothéiste ; Editions de Fallois, Paris
2008.
Thompson, Robert
Farris ; L’éclair primordial ;
éditions caribéennes, Paris 1985.
Trautmann, René ; La
divination à la côte des esclaves et à Madagascar ; Librairie Larose,
Paris 1940.
[1]
Que je distingue du vodoun, fait religieux, ou religion vodoun, sans pour
autant l’exclure de l’action des fondateurs.
[2] Aclinou, P. ; LCLV ;
p. 286.
[3] Ce mythe se retrouve également
dans d’autres mythologies africaines, ainsi que dans celles d’autres cultures ;
c’est notamment le cas des croyances sémites avec la Bible. Dans ce dernier
cas, c’est Dieu qui fait partir l’homme alors que dans le vodoun c’est le
Tout-Puissant qui s’en est allé à la "demande" de la femme !
[4] Maupoil, B. ; La géomancie à
l’ancienne côte des esclaves ; p. 54.
[5] Idem.
[6]
C’est la métaphore de l’espèce humaine.
[7] Sur un plan plus général, au
niveau des concepts de base, les vodoun, types d’êtres, sont aussi des outils,
notamment pour l’élaboration et la mise en œuvre des préceptes pédagogiques.
[8] Quenum, M. ; Au
pays des fons. Us et coutumes du Dahomey ; p. 68.
[9] Effigie de Lêgba installée dans
une localité.
[10] Cette histoire résume
l’essentiel du fonctionnement du fait religieux. Elle traduit la liberté
absolue de l’individu face aux vodoun, types d’êtres, et face aux
fétiches ; liberté de l’homme à condition qu’il ose l’assumer.
[11] Même implicitement. En effet, le
dieu n’a rien à dire, il ne peut pas "refuser" le contrat de par la
fonction que lui assigne le mythe fondateur ; il peut seulement
"poser" ses exigences.
[12] Il s’agit du "Fa de la forêt". Le principe des
interdits est examiné dans d’autres ouvrages, notamment ses caractéristiques.
[13] Ce qui va dans le sens du fait
que Fa et Lêgba sont deux vodoun, types d’êtres, qui ont un statut particulier
dans le système.
[14]
Si on doit exprimer la prédation généralisée de nos sociétés actuelles, on
pourrait dire sous forme de boutade que : "Platon regarde le ciel,
Aristote regarde la terre et l’homme regarde ailleurs !"
Regarder ailleurs, c’est refuser d’assumer, c’est refuser d’être un acteur
responsable ; c’est refuser d’être intègre.
[15] Voir une étude complète de ce
mythe à : Aclinou, P. LCLV ; p. 206, 218, 231.
[16] Ce sont ces modulations qui
signent aussi la souplesse de la construction.
[17] Comme nous pouvons en juger
chez ceux d’entre eux qui ont été transplantés de force ailleurs, par la traite
négrière notamment.
[18] Il convient de se rappeler que
la différence entre vérité et opinion tient au fait qu’une fois établie, la
vérité n’a plus besoin de tuteur ; elle devient accessible à tous par
la seule raison. Alors qu’une opinion est toujours liée à un tuteur,
personne ou système, dont elle reste tributaire.
[19] Ce dogmatisme, qu’on pourrait
dire orienté, le dogmatisme dévoyé, est déployé en détail par plusieurs
auteurs.
[20] Je rappelle que la prédation
est une donnée ontologique qui est propre à l’homme ; ici, il s’agit
d’instrumentaliser cette caractéristique pour en faire les piliers dont il est
question à présent.
[21] Assmann, Jan ; Moïse l'égyptien ; Éditions Aubier, Paris, 2001.
[22] Idem ; Le prix du monothéisme ; Éditions Aubier, Paris 2007.
[23] C’est le sens caché d’Exode 3.
[24] On peut aisément en connaitre
les raisons car celles-ci sont avant tout ontologiques.
[25] Nous verrons plus loin que ce
ne peut être l’objectif final.
[26] Ceci a été fait par bien des
auteurs, dont Assmann.
[27] Ce qui revient à dire que
considérer l’expression nœud gordien comme l’affirmation d’un problème
insoluble est une vision erronée du mythe.
[28] Ce qui ramène toute cognition à
rechercher les moyens, tous les moyens, pour qu’il en soit toujours ainsi.
Seulement voilà, ce qu’un homme a fait, un autre homme pourra toujours le
défaire ; que cela prenne du temps n’y change rien. C’est ainsi que
l’homme a toujours fini par balayer tous ceux, depuis des millénaires, qui
pensaient leurs mimésis installées pour l’éternité.
[29] Pompidou, Georges ; Le
nœud gordien ; (1974) Perrin, Paris 2019.
[30] En réalité, la condamnation de
Feeney est due davantage à sa désobéissance à son évêque qu’à son adhésion à
l’expressions.
[31] Nous devons nous pencher
également sur l’objectif final qui pourrait être celui de l’entreprise du
pharaon.
[32] C’est le cas également dans
l’option de Moïse.
[33] C’est le sens très clairement
exprimé en Exode, 33 pour le judaïsme et ses avatars ; et bien sûr,
par la désignation Mawu comme nous l’avons dit, pour le vodoun.
[34] Voir Aclinou, P. ; LCLV ;
p. 265 et suivantes.
[35] Certes, tout ceci peut aussi
être considéré également comme l’expression de concepts divers !
[36] Accessoirement, la théologie apophatique
dans le christianisme est ce qui peut se rapprocher un peu de cette
proclamation.
[37] On comprend pourquoi le terme vodoun
ne doit pas se rendre par divinité. C’est une fois encore
l’extraordinaire homogénéité de l’ensemble qui apparait ici également.
[38] L’absence de culte pour Mawu.
[39] C’est cela qui fait
qu’aujourd’hui, l’Afrique au Sud du Sahara est probablement la plus gigantesque
scène de crimes du dernier millénaire.
[40] Voilà pourquoi, nous avons dit
que bâtir la loi ne suffit pas.
[41] Une autre formulation est
"hors de l’Église, point de salut !" mise en œuvre
pendant des siècles…
[42] Les trois premiers étant âge
d’or, d’argent et de bronze.
[43] N’est-ce pas là, le signe de la
présence du bain d’espérance qui l’environne et qui peut lui faire
croire qu’il peut toujours s’en sortir… mais cela pourrait être aussi la marque
de la foi… en lui, en son destin…ou en dieu… C’est dire que c’est sans doute le
sens de l’homme qui s’exprime ainsi !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire