1
- Introduction
La bioéthique est un défi
de notre temps, car elle se situe à un carrefour où nous trouvons :
La montée de la conscience
individuelle de la notion de personne et de son altérité.
Les
questionnements sur la remise en cause
ou non des concepts ontologiques antérieurs
La
science vue comme un outil.
La
science vue comme un questionnement philosophique.
La
cristallisation de nos peurs et de nos espoirs.
La
corrélation entre recherche médicale et pharmaceutique, religion et justice.
………
Ce qui veut dire que la
bioéthique traite des conditions du vivre
de l’individu et du vivre ensemble à la lumière des acquis mais aussi des interrogations de notre temps.
On se rend compte peu à
peu que toutes les valeurs qui fondent l’être humain se trouvent, ou se
trouveront directement ou indirectement reconsidérées dans l’optique bioéthique. Ce qui veut dire
que les principes, parfois multimillénaires sur lesquels ces valeurs
s’adossaient subissent une profonde remise
en question et se trouvent soumises à une nouvelle nécessité de
définition, avec des présupposés qui sont nouveaux, soit par le contexte
–politique, religieux, spirituel, sociétal- ; soit par une volonté de
contestation, voire polémique, qui cherche à se substituer à un débat serein.
De fait, depuis une
cinquantaine d’années, voire davantage, la question de base est : qu’est – ce que l’homme ? Après
des millénaires pendant lesquels la réponse à une telle question semblait aller de soi et faisait l’objet d’un consensus universel, même si celui-ci n’évite
pas le poids et l’emprise des arrière-pensées qui peuvent être parfois
caricaturales. Répondre à la question aurait pu être simple, si
l’unanimité était faite sur les propriétés à prendre en considération comme
paradigmes ; à la diversité des
propriétés pour une référence, s’ajoute une diversité de signifiant qui
résulte d’un renversement de
perspective selon que la réponse est faite à priori ou si elle est faite à postériori, c’est – à –
dire, dans ce dernier cas, en fonction de l’objectif qui est poursuivi qu’il
soit clairement exprimé ou subtilement masqué. C’est là qu’entrent en scène
différentes prises de positions qui traduisent des préoccupations divergentes,
qu’elles soient religieuses, politiques, sociologiques, idéologiques ou sociétales… chacune de ces préoccupations est portée par
un ou plusieurs groupes de personnes, plus ou moins organisés, qui dès lors,
vont tenter de faire prévaloir leur point de vue par un militantisme parfois
agressif, souvent faussement inoffensif.
2
- Les raisons d’un lexique
Au nombre des armes qui
sont utilisées, figure en première place la manipulation des esprits à travers le langage notamment, le
verbe comme arme et comme outil ! Ainsi, comme le dit Mgr Jean-Pierre
Ricard, archevêque de Bordeaux, à propos de la conférence internationale du
Caire sur la population et le développement du 5 au13 septembre 1994, organisée
par les Nations Unies[1] :
"…on
utilisait, au cours de la Conférence, un langage curieux, presque codé, dans
lequel certaines expressions apparemment anodines, mais en fait ambiguës ou à
double sens, revenaient régulièrement et pouvaient donner le change sur les
véritables intentions des organisateurs de la Conférence".
Il apparait dès lors que
la défense des valeurs passe d’une part par la connaissance des thèmes et des
intentions de ceux qui les portent quels qu’ils soient, mais également par une
vigilance à propos des termes qui seront utilisés, pour notamment en déceler
les glissements de sens volontaires et insidieux. Ces deux objectifs,
définitions explicites des thèmes de la bioéthique et inventaire du vocabulaire
explicitant les glissements possibles de sens ont conduit le Conseil pontifical
pour la famille à lancer le projet du "Lexique des termes ambigus et
controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques" ;
Ceci pour la vision chrétienne des problèmes en débat.
Cet ouvrage de plus de
1000 pages, riche et varié, -preuve de l’étendue et de l’importance des
domaines de la bioéthique- se veut un approfondissement de la réflexion sur les
aspects moraux de la vie dans ses nouveaux développements. C’est aussi une mise en garde pour prévenir les
manipulations de toutes sortes sans pour autant s’interdire de porter la
réflexion sur les problèmes actuels dans des domaines aussi divers que la théologie,
le droit, la philosophie, la science, la psychologie, la médecine, la justice…
etc. c’est – à dire, les questions que l’homme et ses sociétés sont
amenés à affronter quels que soient les prérequis doctrinaux.
Au rang des nouvelles
questions, nous avons celles de savoir ce
qu’est une personne ; ce
qu’est un être humain ; peut – on considérer que ces deux concepts sont identiques ?
Nous avons également la question de savoir quand commence la vie… la réponse du christianisme est connue,
mais celles, nouvelles que certains proposent,
mettent en avant d’autres paradigmes, sur un fond de subjectivisme, qui
abandonnent les normes qui jusque-là paraissent aller de soi. Ce sont là, des
questions qui doivent pouvoir être discutées de façon ouverte.
L’ouvrage se distribue en
trois grandes sections :
La première partie -"Définition de la bioéthique"
de M. Lalonde - est une
introduction qui propose un examen de fond sur la bioéthique en soulignant les contextes de son émergence et en
précisant les différentes étapes de son
développement.
La seconde partie est centrée sur la famille avec les nouveaux
regards qui se portent sur elle ainsi que les contextes dans lesquels ces
nouvelles visions placent la problématique.
Quelques articles de
cette partie : "Famille et philosophie" de H. Ramsay ; "Famille et
personnalisme" de F. Moreno
valencia ; "Famille et privatisation" du cardinal Alfonso Lopez Trujillo ; "famille,
nature et personne" de J.-M.
Meyer …
La vie humaine
est le thème central de la troisième partie ; il s’agit de porter
l’attention sur les problèmes de début
de vie et de fin de vie. Le problème ici vient surtout de la vision utilitariste de la vie qui
cherche à s’imposer, et à imposer une éthique
des intérêts. La question centrale ici est qu’est-ce que l’homme ?
Ce qui veut dire que la réponse consensuelle des millénaires écoulés cesse de
valoir pour tout le monde.
Quelques articles de
cette partie : "Dignité de l'embryon humain" de A. Serra ; "Statut
juridique de l'embryon humain" de R.-C. Barra ; "Génome et famille" de Roberto Colombo ; "Morale
ou éthique" de J. L. Bruguès
…
Il est bien entendu impossible
dans le cadre d’un survol de faire une recension complète des 90 articles de
l’ouvrage, je propose de m’arrêter brièvement sur trois articles qui
sont :
"Ingénierie verbale" d’Ignacio Barreire (p. 647)
"Fécondité
et continence" de Rita Joseph
(p. 525)
"Contraception
préimplantatoire et contraception d’urgence" de John Wilks (p.167)
3
- Ingénierie verbale
Ce que nous appelons
ingénierie verbale aujourd’hui a toujours fait partie du processus de
communication entre les humains à quelque époque que ce soit et dans quelque
contrée que ce soit. Le cadre qu’impose l’éthique et la morale, voire la
justice, au processus de communication, peut expliquer en partie le rôle que
cet art de communiquer joue dans le sujet qui nous intéresse, même si on peut
admettre que l’usage actuel est plus systématique, mais il ne l’est pas
seulement pour la bioéthique ; il est notoire que tromper en faisant
porter aux mots, un signifiant qui, objectivement renverse la perception qu’on
peut en avoir, est depuis longtemps pratique courante sans que ceci soit dénoncé
avec vigueur, surtout quand cela ne semble pas concerner des pans vitaux de la
vie de la société ; il n’est donc pas étonnant que l’artifice
puisse paraître comme anodin à tous ceux qui sont appelés à débattre dès lors
que la plupart sont endormis par l’habitude de voir les mots falsifiés sous
prétexte de modernité ou de mode, ou encore sous le prétexte de respecter je ne
sais quel état psychologique des personnes ou quel dogme. L’article va passer
en revue quelques processus de manipulation pour attirer l’attention, notre
attention. Ainsi, il peut s’agir de jouer sur la perception que le protagoniste
doit avoir d’un terme ou bien d’une expression :
Ainsi dire "travailleurs
du sexe" au lieu de "prostitué(e)" change la perception négative de l’activité et
ainsi tente de l’"anoblir".
L’approche peut être d’introduire un
flou ou une indétermination
dans l’expression pour en voiler le
sens explicite ; par exemple : avec l’expression "amour
intergénérationnel" pour dire "pédophilie" ; de
même pour "pornographie" on peut trouver "matériel
sexuellement explicite" ou encore "matériel adulte" ;
bien sûr, c’est une falsification,
c’est comme un codage dont il faut avoir la clé.
La manipulation peut
aussi consister à éviter des termes et expressions qui risquent de laisser une marque importante sur la conscience ;
ainsi, au lieu de "avortement", on parlera "d’interruption
volontaire de grossesse", car le terme avortement est encore perçu, consciemment ou non, comme une
destruction au sens de tuer, or détruire
et tuer chargent la conscience
d’un poids qui peut s’avérer insupportable ; dès lors, la manipulation consistera à éviter le terme le plus souvent
possible. Ainsi une "clinique abortive" devient "un
centre de santé reproductive".
La manipulation peut être
plus agressive, voire offensive en tentant de culpabiliser le protagoniste. Il en est ainsi du terme "homophobie",
une personne qui n’aime pas l’homosexualité
est dite homophobe ; or phobie, traduit une maladie ;
autrement dit, un ou une homophobe est
un malade ; ne pas aimer l’homosexualité est le signe d’une maladie ! Pourtant, personne ne traitera un individu
qui n’aime pas les assassins, ou les intégristes, ou les terroristes… de
malade ! Le fait est que l’expression homophobe est rendu culpabilisante, tout en passant dans l’expression courante sans attirer l’attention.
Mais, selon moi, cet exemple montre une démarche qui vient de plus loin, et qui
consiste à particulariser des situations ou des actes qui n’en sont pas ;
un exemple est l’expression "lutter
contre le racisme et l’antisémitisme", pourquoi mettre à part
"l’antisémitisme" ?
N’est – ce pas un racisme au même titre que tous les racismes, quelles qu’en
soient les formes et les victimes… Que doit – on comprendre à partir de cette
formulation ? Ou alors, il faudrait tous les particulariser dans
l’expression ; en clair, c’est là aussi une forme de manipulation sans
aucun doute. Il y a d’autres exemples qui peu à peu ont rendu la tâche facile
pour ceux qui s’adonnent à la démarche que décrit l’article d’Ignacio Barreire.
Peut – être faudrait – il avoir le courage de refuser les insinuations qui
n’ont comme objet que de perpétuer des pratiques qui sont inadmissibles socialement
; on ne peut pas nourrir le serpent et prétendre le combattre dans le même
temps !
4
- Fécondité et continence
Cet article se penche
plus particulièrement sur les approches actuelles des questions de fécondité et de comportements sexuels, en particulier
sur la vision polémiste que ces questions peuvent susciter. Il s’agit en effet
de savoir ce qu’on peut entendre par fécondité,
la nécessité ou non de son contrôle
et les raisons qui fondent cette nécessité, mais également des comportements sexuels qui découlent
des réponses auxquelles on aboutit. Tout
ceci en opposition avec les comportements antérieurs qui considèrent comme
indissociables, la sexualité et la fonction reproductrice, c’est-à-dire une
approche sociétale génitrice.
En premier lieu, on peut
dire que le problème du contrôle de la
fécondité est envisagé comme solution à un problème potentiel : la menace pour les ressources ;
c’est dire que sans contrôle des naissances, et donc de la fécondité,
l’accroissement des populations peut aboutir à une catastrophe dès lors que les
ressources disponibles seraient insuffisantes pour nourrir tout le monde.
En second lieu, une
fécondité incontrôlée est vue comme handicapante
pour la femme, ce handicap se distribue en trois niveaux pour les
féministes :
Humiliant pour la femme.
Obstacle à
l’émancipation de la femme.
La tient éloignée
du marché du travail.
D’où menace pour
les ressources de la planète là encore.
La nécessité de l’autonomie de la femme qui en résulte
demande une contraception. Pour
l’OMS, aucun contraceptif n’étant sans danger ; dès lors, il faut
envisager, selon les féministes, toutes les méthodes modernes de contraception y compris l’avortement.
Sur le plan conceptuel,
l’autonomie de la femme entraine : de dissocier les partenaires en partenaires sexuels et en partenaires géniteurs qui peuvent être
différents. Ce qui signifie que
l’activité sexuelle de la femme est distincte de l’activité reproductrice. La stérilité psychologique résulte de cette distinction dans
l’esprit de la femme.
La solution est apportée
par les méthodes modernes de contraception, à savoir l’industrie pharmaceutique et les progrès de la médecine à travers
l’avortement et la contraception d’urgence.
Il est clair que
dissocier l’activité sexuelle de la fonction génitrice ouvre la voie à des
conceptions dans lesquelles toutes les possibilités
techniques que la science est capable –ou sera capable - de mettre à
notre disposition ne sont que des outils
pour répondre à des préférences
individuellement distinguées. On peut prévoir une évolution contrainte
de la société dans cette direction si l’"ingénierie verbale" atteint son but.
5
- Contraception préimplantatoire et contraception d’urgence
Cet article se base sur
trois mots clés : conception,
contraception grossesse. Il aborde une
question : Quand commence la vie ?
La réponse est :
Soit objective (dans
le sens où c’est l’enchainement biologique qui l’impose)
Soit
idéologique (dans le sens où c’est la finalité envisagée en 4 qui détermine la réponse)
Dans le premier cas, la conception résulte de la fusion des gamètes ou cellules
sexuelles de l’homme et de la femme pour donner une nouvelle cellule à 46 chromosomes, (2 x 23) c’est – à - dire
une cellule diploïde. Cette
cellule zygote, totipotente est
le point de départ de la vie, c’est la fécondation
qui est le début de la vie ; c’est le début de la période embryonnaire qui va durer 60 jours. Il s’ensuit que détruire la cellule zygote, c’est déjà
de l’avortement et non de la contraception. Le zygote évolue et
devient un blastocyste multicellulaire,
un stade du développement embryonnaire qui conduit à la nidation après 6 jours ; c’est l’implantation.
Dans le second cas, le
début de la vie se situe à l’implantation.
Conséquence, tout ce qui se passe avant cette étape peut être soumis à
n’importe quelle opération sans susciter de problème moral, éthique ou sociétal.
Ainsi, la destruction de l’embryon – on parlera de pré-embryon - avant l’implantation n’est plus de l’avortement mais
de la contraception. De même, la
fécondation in vitro se justifie,
et surtout, la destruction ou
l’utilisation à d’autres fins des embryons qui en proviennent ne pose
pas de problème. Dans cette optique, la véritable contraception, c’est empêcher
la nidation ; on fera appel à la pilule
du lendemain dans une contraception
préimplantatoire ou contraception
d’urgence ou encore contraception
post-coïtale.
On voit donc qu’avant
d’être un problème technique et
biologique, la question du début de la vie est d’abord, une question philosophique et ontologique.
Des questions en amont se posent, telles que : quel est le statut de
l’ovule, du sperme ? Faut – il en assurer le contrôle ?
Comment ? Et par qui ? Des questions en aval se posent également et
portent sur le statut de l’enfant, la définition du couple et de la famille…
toute question qui s’adresse à l’individu bien sûr, mais également au
politique, au sociologue, au psychologue, au juriste, au théologien et au
philosophe… autant dire à la société dans toutes ses composantes.
6 - Conclusion
J’ai voulu par
ces quelques considérations faire apparaître l’importance et l’utilité de
l’ouvrage : "Lexique des termes ambigus et controversés sur la
famille, la vie et les questions éthiques". Je suis loin d’en avoir
exploité toute la richesse.
Par les
exemples que j’ai retenus, on peut voir que le champ du langage n’est pas le seul point que l’ouvrage aborde, les
auteurs ont tenté de faire le tour des problèmes de bioéthique en privilégiant
l’information la plus large et la plus précise possible, et cela, sur tous les
thèmes de l’éthique familiale et sexuel,
tout en restant, il est vrai, dans la
droite ligne du magistère chrétien. Toutefois, nous pouvons le sortir de ce
cadre et tenter de cerner ces problèmes en ne considérant que l’homme, l’homme
tout court !
Les articles
que j’ai retenus le sont de façon arbitraire, mais j’ai voulu qu’il s’établisse
une liaison de signifiant de l’un au suivant, je n’ai donc pas suivi
l’ordonnancement de l’ouvrage comme le laisse apparaitre la pagination des
trois articles traités.
7 - Bibliographie
Conseil pontifical famille, Lexique des termes ambigus et
controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, édi.t P.
Tequi, 2005.
G. Hottois, Qu’est-ce que la bioéthique, Paris, Vrin, 2004.
C. Ambroselli, L’éthique médicale, Paris, PUF, 1988.
J. C. Guillebaud, Le principe d’humanité, Paris, Seuil,
2001.
Sur Internet :
http://pmb.polado.net/opac_css/index.php?lvl=indexint_see&id=20&PHPSESSID=0fbfd7ee765dd0a9838ef7dc68da3959
http://www.dialoguedynamics.com/contenu/learning-forum/seminars/the-contraception-abortion-nexus/the-contraception-abortion-nexus-73/article/flawed-argument-2-and-answer-the?lang=fr
[1] http://www.eglise.catholique.fr/eglise-et-societe/bioethique/-lexique-des-termes-ambigus-et-controverses-sur-la-famille-la-vie-et-les-questions-ethiques-extrait.html
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