Introduction.
Tous les récits de la conversion de
Saint Paul sur le chemin de Damas mettent en exergue deux questions. La première
est celle que pose Jésus, accusateur, par exemple en Ac 9, 4 :
—
Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?
La
seconde est celle de Paul qui peut paraitre comme prémices de la réponse à la
première question. Paul répond en effet par une autre question :
—
Qui es-tu Seigneur ?
La
suite des récits semble traduire un accord implicite des deux protagonistes - avec
la mise en garde du Christ en Ac 26,14, "C’est en vain que tu résistes, comme l’animal qui rue contre le bâton
de son maître" -pour entrer directement dans le vif du sujet :
l’ordre de Jésus, et ce que Paul considère comme son "saisissement". Tout se passe comme si les possibles réponses à
la question de Jésus sont entendues et ne nécessitent pas d’être déployées ni
par Jésus, creusant l’interrogation, ni par Paul dans un effort de
justification par exemple.
Pouvons-nous
tenter de dégager ce qui pourrait être les raisons qu’avait Saint Paul de
persécuter violemment les adeptes de Jésus ?
La
réponse est oui ; il faut en chercher les éléments à travers l’action et
l’enseignement de Paul depuis son saisissement par le Christ. Il faut en
chercher les raisons dans les convictions de Paul en tant que juif pratiquant
et déterminé. Pour se faire, commençons par examiner les récits du comportement
de Saul avant le chemin de Damas.
Les assertions.
Elles
sont de deux origines dans le Nouveau Testament, les Actes des Apôtres et les Epitres
de Saint Paul ; chacune ayant sa propre optique.
Dans
les Actes des Apôtres, le dessein de Saint Luc est de proposer un déploiement à
visée historique et ecclésiale des premiers temps du christianisme ; et
selon lui, Saint Paul est un acteur majeur de ces temps de commencement. Dans
les Epitres, la visée est théologique et également ecclésiale, car la fougue de
St Paul en "promoteur" du Christ sauveur n’a pas pour objet une
relation d’événement, une bibliographie ni du Christ ni du christianisme ;
il s’agit d’une profession et d’une proclamation de ses nouvelles convictions.
En
considérant ces deux types d’assertions, nous pouvons dégager les éléments qui
nous permettrons d’analyser les possibles réponses à la question de Jésus à
Saint Paul, "…pourquoi me
persécutes-tu ?"
Dans les Actes des
Apôtres.
Dans
les Actes, nous avons plusieurs assertions de la violence de Saul envers les
adeptes de Jésus, d’une part comme relation de l’auteur des Actes ; ainsi,
si en Ac 8,1, il n’est présenté que comme témoin de la lapidation d’Etienne, le
verset précise qu’il approuvait le meurtre, et donc qu’il avait déjà la
persécution en lui comme l’indiquent les versets 3 "Saul, de son côté, ravageait l'Église; pénétrant dans les maisons, il
en arrachait hommes et femmes, et les faisait jeter en prison." En Ac
9,1, c’est une nouvelle étape qui est décrite, selon les Actes, dans la
persécution en demandant au Grand Prêtre des lettres de mission, car son "cœur n’exhalait que menaces et mort contre
les disciples du Seigneur." La volonté de détruire, d’extirper "les adeptes de la voie" est telle
que le juif zélé qu’il était encore s’engageait – déjà – sur les routes, en
particulier, celles qui mènent aux synagogues de Damas. Saint Luc nous présente
d’autre part la persécution des adeptes de Jésus par Saul à qui il laisse la
parole cette fois. En effet, en Actes 22, 4, puis en Ac 22,19-20, c’est Paul
qui s’exprime, il reconnait avoir "persécuté
jusqu’à la mort" ceux qui deviendront plus tard ses compagnons après
sa conversion. Autant dire que Paul reconnait l’extrême détermination –jusqu’à
la mort- qui fut la sienne. C’est encore lui qui parle en Ac 26, 9-11 pour dire
ce qui peut apparaître comme un résumé de sa vie de persécuteur, pour
reconnaitre d’avoir approuvé les condamnations à mort de ceux qu’il jetait en
prison ; en d’autres termes, Paul se reconnait comme meneur de la
persécution, même si ce sont les autorités religieuses qui délivraient les
ordres de mission. Ainsi, les Actes de Apôtres balisent le parcours de Saul de
Tarse en soulignant ou en faisant souligner l’ardeur, la fureur ou encore le
zèle qui animait l’homme.
Dans
les Epitres.
Dans
ses écrits, les Epitres, Saint Paul revient à maintes reprises sur sa vie
passée de persécuteur. En 1Co 15, 9 pour se situer ; il écrit : "Car je suis le plus petit des apôtres, moi
qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre parce que j'ai persécuté l’Église de
Dieu. Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon
égard n'a pas été vaine" (1Cor 15,9). C’est en ces termes que Saint
Paul s’adresse aux corinthiens, reconnaissant par-là un point crucial de sa
vie, celle du juif zélé qu’il fut d’abord. Il s’agit sans doute aussi de
célébrer l’honneur insigne que lui fait le Seigneur en le gratifiant d’une
apparition. Il poursuit en 1Cor 15,10, "par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis et la grâce n’a pas été
inefficace…"En d’autres termes, il resitue sa vie de persécuteur dans
la volonté divine ! On peut dire qu’il intègre cette partie de son
existence dans sa vision théologique. N’est-ce pas l’une des lectures possibles
pour 1Cor 7,20-23 ? Saint Paul écrit en effet : "7.20 Que
chacun demeure dans l'état où il était lorsqu'il a été appelé. 7.21 As-tu été appelé étant esclave, ne t'en inquiète pas; mais si tu
peux devenir libre, profites-en plutôt. 7.22 Car
l'esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur; de
même, l'homme libre qui a été appelé est un esclave de Christ. 7.23 Vous avez été rachetés à un grand prix; ne devenez pas esclaves
des hommes. " Saint Paul est donc un "affranchi du Seigneur".
Comme
dans les Actes des Apôtres, nous avons à plusieurs reprises sous la plume de
Saint Paul le récit de son comportement avant sa conversion.
En
Ga 1,13-14, c’est à une véritable "carte de visite" à laquelle nous
avons droit, même si celle-ci était devenue obsolète du fait du
"saisissement" de Saul par le Seigneur : "Vous avez entendu parler de mon comportement
naguère dans le judaïsme, avec quelle frénésie, je persécutais l’Église de
Dieu, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle
débordant pour les traditions de mes pères." Et en Ga 1,23, Paul
rappelle la réputation qui était la sienne dans les milieux de ceux qui
suivaient Jésus. "Celui qui nous
persécutait autrefois prêche maintenant la foi qu’il s’efforçait de
détruire."
C’est
sans doute dans l’Epitre aux philippiens que Saint Paul détaille et argumente
la carte de visite du persécuteur qu’il était. Il précise en effet -Ph
3,5-6- : "Circoncis le huitième
jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu, fils d’hébreu, pour
la loi pharisien, pour le zèle persécuteur de l’Eglise, pour la justice qu’on
trouve dans la loi, devenu irréprochable".
Pourquoi ?
Ainsi,
il nous livre in extenso trois
directions d’expression de sa pensée en Ph 3, 4-6, trois directions qui
faisaient sa fierté avant sa rencontre avec Jésus. Trois directions qu’il ne
regrette pas semble-t-il après sa conversion. Les assises de cette pensée
sont :
Hébreu,
fils d’hébreu : donc circoncis le huitième jour.
Pratique
de la Loi : pharisien convaincu.
Justice
de la Loi : irréprochable dans son action.
Zèle
de la Loi : fanatique et persécuteur.
C’est
donc l’affirmation, de sa judaïté, et cela, à travers :
La Loi qui doit être respectée avec zèle.
Le zèle pour pratiquer la justice.
La justice pour obéir à la volonté divine connue à
travers les pères et les prophètes.
Hébreu,
fils d’hébreu.
C’est
la communauté, elle qui est le corps de l’alliance ; alliance de Dieu avec
un peuple qui doit demeurer séparé pour respecter l’exigence de sainteté. Or
l’enseignement de Jésus et la proclamation des Apôtres après Pâques et la
Pentecôte rend obsolète cette exigence de séparation et cette forme de
sainteté. Ainsi, en Matthieu 15, les exigences de pureté alimentaire sont
balayées. Ainsi en Mtt
15,2, les juifs
demandent à Jésus : "Pourquoi
tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne se lavent
pas les mains, quand ils prennent leurs repas." Jésus répond et
prolonge l’enseignement : " 15,11 Ce
n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme; mais ce qui sort de
la bouche, c'est ce qui souille l'homme… 15,17 Ne
comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis
est jeté dans les lieux secrets ? 15,18 Mais ce
qui sort de la bouche vient du cœur, et c'est ce qui souille l'homme. 15,19 Car c'est du cœur que viennent les
mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les
faux témoignages, les calomnies. 15,20. Voilà
les choses qui souillent l'homme; mais manger sans s'être lavé les mains, cela
ne souille point l'homme."
Dès
lors, le juif Saul peut se sentir attaqué dans les fondamentaux de sa foi. Saul
peut pressentir un danger imminent pour la loi, dès lors que la communauté
risque de ne plus être séparée, et donc, de ne plus pouvoir respecter
l’exigence de pureté, prélude à sa sainteté ; il peut le sentir comme une
conséquence de l’enseignement de Jésus.
Pharisien.
En
tant que pharisien, Saul peut légitimement croire la Torah en danger, si on
attaque la haie qui est bâtie autour d’elle pour la préserver afin qu’elle joue
son rôle sanctifiant pour la communauté, elle-même séparée pour demeurer
sainte. Se dire hébreu, fils d’hébreu, c’est se situer entièrement dans la
référence aux pères, et là, Saul semble affirmer qu’il y était et qu’il y est
encore après sa conversion. Tout doit tourner autour de la Torah ; et le
premier niveau d’observance de la Torah est précisément constitué par les
observances rituelles. Ces exigences ne sont cependant pas les seuls éléments
pour lesquels Saul s’opposait si violemment aux adeptes de Jésus. Il y avait
certainement un autre point que ne pouvait accepter le pharisien qu’il était.
C’est un élément d’ordre théologique, et qui concerne le Temple de Jérusalem.
Le
Temple.
La
centralité du Temple fait aussi la centralité de Jérusalem pour le peuple juif,
qu’il réside en terre sainte ou bien qu’il soit installé dans la diaspora, et
cela, pour l’ensemble des sensibilités doctrinales juives à l’exceptions des
esséniens. Cette centralité résulte de la réforme d’Ézéchias, mais il résulte surtout
du fait que le Temple symbolise le lieu où le peuple entre en interaction avec
Dieu. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que le temple est considéré
comme la table de sacrifice du judaïsme, et comme telle, elle fait partie
intégrante de l’offrande à Yahvé ; une table sans laquelle aucun sacrifice
n’est valide. Or, dire que le temple est "fait de main d’homme," c’est laisser entendre qu’il est le
symbole d’une idolâtrie, qu’il est une
idolâtrie.
L’idolâtrie
est la pire chose pour le judaïsme ; c’est ce qu’il y a de pire pour la
loi de Moïse, c’est-à-dire pour la loi de Dieu. Que l’on se rappelle Moïse
justement confronté à l’idolâtrie du veau d’or ; ce fut à cette occasion
qu’il eut le geste de briser les premières Tables de la Loi, celles qui furent
écrites de la main de Dieu. Ce fut un sacrilège inouï ! Et Moïse l’a fait,
ce geste ; et Dieu accepta que ce soit fait ! On voit donc que qualifier,
même indirectement le Temple d’idolâtre, car fait de main d’homme, est
gravissime pour un juif ; et ça l’est plus encore pour le pharisien de
surcroit qu’était Saul. De fait, Marc parle avec raison de faux
témoignages à ce propos : "Mc
14, 58 Nous l'avons entendu dire: Je détruirai ce temple fait de main d'homme,
et en trois jours j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme."
En effet, il y a une contradiction fragrante entre le fait de chasser les
marchands du temple et de s’effaroucher devant le spectacle qui transforme le
Temple de Jérusalem, "…la maison de
mon Père" en un lieu de mercantilisme débridé et le fait de considérer
que le propos de Jésus concernait le temple, lieu de culte. L’Evangile de Jean
-(Jn 2, 14-21)- propose un développement complet de l’évènement : "2 14
Il trouva dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons,
et les changeurs assis. 2 15 Ayant
fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les
brebis et les bœufs; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables
; 2,16 et il dit aux vendeurs de
pigeons : Otez cela d'ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de
trafic. 2,17 Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit : Le zèle
de ta maison me dévore. 2,18 Les
Juifs, prenant la parole, lui dirent : Quel miracle nous montres-tu, pour agir
de la sorte? 2,19 Jésus leur
répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. 2,20 Les Juifs dirent : Il a fallu
quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours tu le relèveras !
2,21Mais il parlait du temple de
son corps." La méprise était totale ; ou alors, c’est la mauvaise
foi qui prévalut dans les témoignages selon Marc qui est fragrante. Or, Saul
était présent au moment de la lapidation d’Etienne ; on nous dit qu’il
approuvait ce meurtre en Ac 8,1 ; et l’une des raisons de cette lapidation
est le fait de dire du temple que c’est une maison faite de main d’homme, (Ac
7, 48) radicalisant, sinon comprenant de travers les propos de Jésus.
Saul
persécuteur des chrétiens qu’il croyait considérer le temple comme une
idolâtrie ; et Paul pour qui, après sa conversion, le corps sera proclamé
comme "le temple de l’Esprit" : "1Cor 6, 19 Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du
Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous
appartenez point à vous-mêmes ? 1 Co 3,
16 Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que
l'Esprit de Dieu habite en vous ?2 Co
6, 16 Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles? Car
nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l'a dit : J'habiterai et je
marcherai au milieu d'eux ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple."
Mais,
avant d’en arriver là, Saul le juif pharisien, ne pouvait accepter que le temple
soit assimilé de fait à une idolâtrie.
La Loi.
La
Loi pour le judaïsme est le lieu de la justice, la justice de Dieu. Saint Paul
se considère sans reproche de ce point de vue avant et après sa conversion.
Est-ce la raison pour laquelle il n’eut pas de réponse explicite à la question
de Jésus "… pourquoi me
persécutes-tu ? "? Ou bien alors, l’argumentaire de Ga 1, 14
"… je progressais dans le judaïsme,
dépassant ceux de mon âge et de ma race pour mon zèle débordant pour les
traditions de mes pères." doit faire office de prélude à toute
réponse ? La loi donc ! Mais on se demande alors quel regard les
chrétiens des origines portaient sur la loi pour que ce soit là, une des
raisons de persécution ; une des raisons de la fureur de Saul contre eux.
En effet, Jésus n’apparaissait pas comme mettant fondamentalement la loi en
cause. Il dit être venu pour l’accomplir (Mt 5, 17-20) ; même si les
préceptes de la Torah sont relativisés par endroits dans son enseignement, par
exemple la guérison du paralytique à la piscine de Bethesda, (Jn 5) un jour de
shabbat ; relativisés pour annoncer un Dieu d’amour. C’est ailleurs, dès
lors, qu’il nous faut chercher d’éventuelles raisons, au niveau de la loi, pour
justifier l’extrême violence de la persécution de Saul. Si Jésus n’attaque pas
la loi dans son enseignement, mais au contraire veut la réaliser, c’est sans
doute dans le redéploiement qu’il en propose que doit se situer l’origine de la
fureur du juif Saul, pharisien de surcroit.
Ce
redéploiement, nous le trouvons en maints endroits de l’enseignement, mais
c’est surtout dans le sermon sur la montagne, Matthieu 5,6 et 7 qu’il atteint
sa plénitude : les béatitudes ; ou encore dans le sermon dans la
plaine où Luc en propose une autre relation : Lc 6, 20-49. Ce n’est pas tant
dans le contenu du sermon, ce qui est convenu d’appeler les Béatitudes, que
dans la forme, dans l’expression de Jésus quand il délivre cet enseignement,
par ailleurs capital, que le juif, pharisien zélé, peut trouver matière à se
rebiffer, voire à laisser éclater sa fureur. La solennité de l’enseignement
tient autant à son contenu qu’à l’assurance avec laquelle il fut délivré :
"On vous a dit …. Moi, je vous dis…"
Tout le problème est sans doute là ; il est dans ce Moi majestueux et
péremptoire. En effet, le "On vous a
dit" porte sur la loi de Moïse, la loi du Sinaï, c’est-à-dire sur la
loi de Yhwh, la loi de Dieu. Moïse n’était que l’intercepteur ; il œuvrait
à la demande expresse de Dieu ; dès lors, sa proclamation est une
proclamation divine telle qu’elle ressort aussi bien de l’Exode, du Lévitique que
du Deutéronome. Le contenu de l’enseignement de Jésus ne peut être en cause,
car, on peut y voir un redéploiement des Dix Commandements à la lumière du Dieu
d’amour qu’il proclame par ailleurs. Par contre, l’expression de cette
proclamation, l’expression de cet enseignement sous la forme "Moi, je vous dis…" est
inouïe ; inouïe en cela que d’emblée, Jésus peut apparaître comme étant
au-delà de Moïse ; c’est en quelque sorte l’affirmation du Fils christologique
avant l’heure, avant son élaboration théologique. Nous avions trouvé inouï,
parce que sacrilège, le geste de Moïse brisant les premières Tables de la
Loi ; ici, c’est l’expression de Jésus, son assurance et son autorité que
le juif pieux peut trouver sacrilèges. On peut donc concevoir que ceux qui se réclament de Jésus puissent
faire l’objet de persécution, car, c’est l’édifice même de la Révélation
sinaïtique et l’Alliance qui en résulte qui sont mises en cause, et qui
risquent de s’effondrer aux yeux de tenants rigoureux du judaïsme. C’est
proprement inouï comme perspective ! De fait, cela ne peut échapper à
l’intelligence vive et constamment en alerte de Saul pour tout ce qui concerne
son peuple, sa foi et son Dieu. Dès lors, éradiquer ceux qui se réclament de
cette voie, une voie qui veut reformuler de fond en comble la Torah, peut être
pour Saul, l’expression de son zèle pour la loi ; la persécution devient
pour lui un devoir sacré.
Le
tombeau vide.
Dans
le judaïsme, les pharisiens croyaient à la résurrection des morts,
contrairement aux sadducéens par exemple ; si on peut imaginer, selon la
grande majorité des auteurs que Saul, sans nécessairement connaitre Jésus kata sarka de son vivant, devait en avoir entendu parler à cause des
démêlés et des débats qu’il eut avec les pharisiens avant sa mort ; s’il
en était ainsi, Saul ne pouvait ignorer l’esprit messianique de l’enseignement
et de la démarche publique de Jésus, même s’il ne s’était jamais proclamé
messie. On peut, dans cette éventualité, comprendre que Saul ce soit sentit rassuré
à la mort-crucifixion de Jésus, dès lors qu’un messie mort, et de surcroit par
crucifixion, est inimaginable pour un juif. Cette mort apparait comme la preuve que le crucifié n’était pas le
messie. Voilà qu’à partir de la pentecôte, les Apôtres annoncent la résurrection
de Jésus en proclamant d’une part que son tombeau est vide, et surtout, d’autre
part, qu’ils ont vu le ressuscité. Les témoignages multiples des apparitions de
Jésus renversent complètement l’idée selon laquelle un messie ne pouvait
mourir, qu’un messie ne pouvait être crucifié. Pour un pharisien comme Saul,
bien qu’il croie à la résurrection des morts, ces témoignages ne pouvaient être
que de la supercherie, car, la Loi et les Prophètes parlent de la venue du
Messie, mais en aucun cas de résurrection ; d’où toute supercherie en ce
sens justifie une fois encore l’extermination de ses auteurs et de ceux qui y
accordent foi. C’est là qu’apparait l’importance du chemin de Damas et
l’insistance avec laquelle Paul affirmera qu’il a vu Jésus. La problématique est la même que dans le cas de
Saint Thomas ; pour l’un, Saint Thomas, c’est la vue des plaies qui
consolide sa foi ; pour l’autre, Saint Paul, c’est l’apparition de Jésus
qui l’instruit qu’il faisait fausse route par ses persécutions et qui lui
assigne sa mission ; c’est cette apparition –une expérience mystique- qui
change toute sa perspective du judaïsme sans pour autant le conduire à tourner
complètement le dos à l’enseignement de ses pères, mais plutôt à le comprendre
à la lumière de l’enseignement de Jésus venu pour accomplir la loi ; un
Jésus et un enseignement sur lesquels il ouvrit la vue à Damas. La fureur du
persécuteur se transforme alors en fureur du porteur de l’évangile ! Nous
sommes toujours dans l’optique du zèle.
Théologie du zèle.
La
persécution des premiers chrétiens par Saul relève également du concept de zèle
très présent dans le judaïsme. En fait, tous les éléments que nous venons de
passer en revue pour tenter de cerner les raisons de la virulence de Saint
Paul, encore Saul, contre les adeptes de Jésus ont pour cadre ce zèle. Tout
cela relève du zèle pour la loi.
Le
zèle dans le judaïsme est un diptyque en cela qu’il présente deux facettes qui
doivent constamment se répondre. L’une de cette facette est le zèle de Dieu
pour son peuple ; on peut dire qu’ayant élu ce peuple, Il a des devoirs
envers lui ; le zèle de Dieu donc. La seconde facette est le zèle du
peuple hébreu pour son Dieu en réponse à l’alliance. Dans un cas comme dans
l’autre, pour l’une des facettes comme pour l’autre, il s’agit d’une relation
d’exclusivité ; une relation sans partage dans laquelle aucun élément
extérieur ne doit s’insérer. Et Moïse prévient : Dt 4, 1 "…gardant avec fidélité les commandements de
Yhwh votre Dieu que moi-même je vous prescris ; vous n’ajouterez rien ni ne retrancherez rien à cette parole."
Saul se conformait donc à la consigne, Dt 4, 23 "Gardez-vous donc bien de peur d’oublier l’alliance scellée avec vous
par Yhwh votre Dieu…" car, en Dt 4, 24, le prophète ajoute "…car Yhwh ton Dieu est Lui, un feu dévorant
et un dieu jaloux." Nous trouvons là, les fondements de l’action des
zélotes ; Saul en était-il ? Peut-être, mais peu importe ; sa
persécution est d’abord sa manière de répondre au zèle de Dieu ; c’est sa
manière de préserver l’alliance comme n’importe quel juif ; garder
l’alliance. L’histoire des hébreux regorge d’actes de violences extrêmes dont
la justification est le zèle pour Dieu : Phinéas, Nb 25, 6-13 ; Syméon
et Levi son frère, comme le rappelle Judith, la fille de Syméon en Jdt 9,
2-4 ; ou encore les frères Maccabées ; la colère de Mattathias, 1Mc 2,
19-22, est très explicite à ce sujet. La théologie du zèle s’articule autour
d’une violence dirigée contre le juif d’abord, car, il s’agit de maintenir la
cohésion et l’intégrité du groupe face à Dieu, et donc d’en éliminer tout
élément qui menace cette cohésion. Elle se fonde sur l’exigence de sainteté et
de respect absolu de la loi ; d’où l’éradication de tout ce qui peut être
cause de souillures. Ce sont là, des exigences pour lesquelles le juif pieux et
zélé est fermement persuadé qu’il peut aller jusqu’à verser le sang sans la
moindre hésitation ; on comprend que Saul ne broncha pas à la vue de la
lapidation de Saint Etienne ; il approuvait !
Conclusion.
La
persécution des adeptes de Jésus par Saul s’insère parfaitement dans le schéma
du tableau qui vient d’être brossé. Que ce soit dans les Actes des Apôtres ou
que ce soit dans les Epitres, l’action dévastatrice de Saul avant le chemin de
Damas est soulignée sans pour autant qu’apparaisse le moindre remord. Saint
Paul la reconnait, on peut la motiver ; mais, s’il considère qu’il était
dans l’erreur, il ne se justifie pas pour autant ; "Je suis ce que je suis…" dira-t-il
dans 1Co 15,9. Est-ce pour cela, entre autre, qu’il préconise dans 1Co 7,20
"Que chacun demeure dans l’état où
il était quand il a été appelé…" ?
En
d’autres termes, ce n’est pas son zèle qu’il met en cause, mais son aveuglement
tant qu’il n’ouvrit pas les yeux à Damas, dès lors qu’il considère qu’il "a été mis à part depuis le sein de sa mère"
pour ce qui sera sa mission après le chemin de Damas. Ainsi, précise-t-il dans
sa lettre aux Galates : "Mais,
lorsque Celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa
grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les
païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain ou de monter à
Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour
l’Arabie" (Ga 1,15-16)
Bibliographie.
Les
citations des Epitres et des Actes proviennent de "Nouveau Testament Interlinéaire Grec/Français."
Marchadour
A. L’évènement Saint Paul ;
éditions Bayard, 2009.
Baslez
M-F., Saint Paul, artisan d’un monde
chrétien ; éditions Fayard, 2008.
Brune
F., Saint Paul, le témoignage mystique ;
éditions Oxus, 2003.
Marguerat
D., Paul de Tarse ; éditions Gallimard,
2000.
Badiou
A., Saint Paul, le fondateur de
l’universalisme ; PUF, 1997.
Cantinat
J. (c.m.), Les épitres de Saint Paul
expliquées ; éditions Gabalda, 1960.
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