jeudi 20 novembre 2014

Des rites d'eau au baptême chrétien

I – Introduction
            Le baptême chrétien qui est dans son principe une porte d’entrée pour l’homme gagné par la foi dans l’église ou la communauté du peuple de Dieu, plonge ses racines par certains de ses éléments dans les profondeurs de l’imaginaire des humains. On ne peut pas écarter en effet, que le baptême soit un prolongement des rites d’eau qui parcourent toutes les cultures, toutes les civilisations et tous les peuples de la terre depuis la nuit des temps. Il garde aujourd’hui encore un lien avec ces rites en cela que le rite d’eau à l’origine fut un rituel de salut, et donc de survie. N’est-ce-pas ce lien qui justifie, symboliquement, que dans les cas d’extrême urgence, toute personne, y compris un non-chrétien, peut donner le baptême.
Je me propose d’explorer en bref quelques aspects du baptême chrétien en partant des rites d’eau selon le plan ci-dessus.
Le rite d’eau signe la symbolique de la vie par le rôle vitale de l’eau au premier degré ; il signe également la notion de pureté, et d’abord, celle du corps, pureté qui n’est qu’un prolongement de la vie, entendue comme celle du corps comme celle de l’esprit ; il signe enfin le passage symbolique de la pureté du corps à celle de l’esprit dans sa relation à la divinité. Je me propose de parcourir le déploiement du baptême chrétien depuis les origines pour en faire ressortir brièvement les variations de son sens.
II - Significations et fonction dans le rituel israélite.
            L’universalité des rites d’eau n’a pas épargné les peuples sémites, en particulier le peuple juif, c’est ce dont on peut se rendre compte à la lecture du Lévitique notamment. Il est devenu pendant et après l’Exode, un rite de purification exclusif qui prélude à tout acte en direction de la divinité, qu’il s’agisse de prières ou bien qu’il s’agisse de sacrifices ; dès lors, il semble que pureté corporelle, signe de vie, et pureté spirituelle, signe de salut, soient confondues avant que le second aspect, la pureté spirituelle, signe de salut, ne devienne prépondérant en tant que symbole, puis l’essentielle, et enfin l’unique possibilité, quand sacrifier sera rendu impossible. Ainsi, quand le premier Temple fut détruit et le peuple déporté en Babylonie, en -597, -585 puis en -581 selon le Prophète Jérémie, (même si seule les élites politique, religieuse et économique des juifs furent déportées) ; en effet, la destruction du temple interdisait tout sacrifice à Yahvé car, le Temple symbolise la table de sacrifice dans le rituel hébreux, et que celle-ci est une partie intégrante du sacrifice. Il ne restait alors que la lecture des textes sacrés et les rituels de purification qui acquièrent dès lors progressivement un caractère de sanctification. N’est-ce-pas là, en partie, le sens qu’avait le baptême de Jean Baptiste ?
III – Le baptême chrétien
            A - Le baptême de Jean : sens et contre-sens.
Avec Jean le baptiste, le rite "baptismal" juif va changer de signification, il introduit un rituel nouveau, en particulier, il faut un baptiseur, ici Jean, ce fut le cas d’autres anachorètes qui opéraient le long du Jourdain à la même époque, mais c’est l’activité de Jean que nous pouvons regarder comme un prélude au baptême chrétien, comme un rite qui procure le pardon des péchés, il n’est plus question de rites de pureté rituelle mais d’un acte de contrition en présence d’un témoin, le baptiseur. Il s’agit d’une acceptation implicite de rejoindre le groupe de ceux qui croient à l’imminence de la venue du Messie ; c’est un acte de pénitence préparatoire à la venue des temps messianique.
            B - Le baptême de Jésus.
Le baptême de Jésus va transformer le baptême de Jean, qu’il a reçu dans le Jourdain en un rite nouveau tant par son rituel et sa symbolique que dans sa signification. En effet, le baptême chrétien qui fut dispensé après la Pentecôte, fut un renouvellement complet de sens et de portée. Nous avons toujours la nécessité de l’eau et d’un baptiseur auxquels s’ajoute la formule baptismale trinitaire. Ce dernier élément confère sa véritable spécificité au rituel qui est d’être aussi un baptême par l’Esprit Saint ; d’où il ne put véritablement commencer qu’après la Pentecôte et le don de l’Esprit Saint.
En résumé :
            1°/ Le rite :
                        On est baptisé ; il ne suffit donc plus de se donner une ablution, même totale.
                        L’eau est nécessaire, mais le rituel peut prendre des formes variées selon les circonstances.
                        La formule baptismale est trinitaire et est dite par celui qui baptise.
                        Le baptême n’est administré qu’une fois, contrairement aux rites d’ablution.
            2°/ Le sens :
                        La formule baptismale instituée par le Christ selon Mathieu 28, 19 ouvre à la participation à sa vie, et donc à sa résurrection. Ce qui veut dire la rémission du péché ; ce qui veut dire également l’ouverture au salut ; ce qui veut dire enfin, la libre agrégation à une communauté.
Le rite, comme le sens du baptême chrétien n’en font pas un système monolithique pour autant ; c’est un symbole qui a ouvert à différents questionnements dès les premiers instants du christianisme. Au premier rang de ceux –ci, la question de son fondement, à savoir : baptême d’eau ou baptême de l’esprit ? Baptême de salut ? Baptême de pénitence ? Baptême de conversion ? …
            C – Saint Paul et le baptême.
Saint Paul d’abord, puis les Pères de l’Eglise ensuite vont s’employer à déployer les réponses diverses et variées à ces questionnements ; c’est le signe que le baptême est un sacrement fondamental dans le christianisme, beaucoup plus fondamental que les divers rites d’eau qui voulaient relier l’homme à son créateur, avec ou sans intermédiaire. Il en est ainsi parce que très tôt, il fut considéré que le baptême symbolise, non seulement un acte d’adhésion, un acte de foi en la nouvelle vision de la divinité, c’est-à-dire un Dieu d’amour, mais aussi une sanctification parce qu’il fait participer l’adepte à la mort du Christ, rite d’eau symbole de mort, mais aussi à la résurrection du seigneur, rite d’eau symbole de vie et de rédemption, et ce dernier point fait du baptisé un fils de Dieu. Pour Saint Paul notamment ce point de vue, rite de sanctification est le plus important et c’est lui que traduit le baptême par l’esprit. Rom 6,3-4 ; Gal 3, 26-28 ; Rom 8, 17 ; Col 2, 12. Justin de Rome : Dialogue de Tryphon 12, (la circoncision nouvelle) ; 13, 14 (le baptême de pénitence) …   
On retrouve donc les deux aspects : baptême de pénitence et baptême de sanctification, d’où les deux onctions, disjointes dans le temps ou non.
IV - Evolutions et rôles sociétales.
Très tôt semble – t – il, une préparation au baptême fut nécessaire, une sélection et une préparation du futur baptisé, mais également celles du baptiseur quand les évêques furent contraints de déléguer tout ou partie de l’exécution du rituel baptismal. Pour le candidat au baptême, le simple désire d’adhésion ne suffit plus ; il ne suffit plus de croire, il faut aussi manifester sa volonté et le désire d’accès à la nouvelle communauté par la connaissance du contenu et des règles. Ce fut aussi un moyen de mise en ordre dans les premiers temps, époques où l’adversité était grande. En outre, la préparation au baptême est nécessaire, car, on change le sens du rituel tout en conservant le symbole qui est l’eau pour une part ; elle est nécessaire également pour mettre en exergue la signification du baptême spirituel qui demande un engagement actif de l’impétrant, un engagement de vie qui désormais est placée sous le signe du Saint Esprit et de l’apostolat. On comprend dès lors que pour Saint Paul, le baptême de l’esprit est la signification véritable du baptême chrétien, et dans ce cas, la symbolique de l’eau ici est celle de la mort qui sera suivit de la renaissance dans l’Esprit Saint. (Rom 6,4) ; mais aussi Jean 3, 5.
            Catéchuménat
Etre baptisé, c’est comprendre ce rituel de mort et de résurrection symboliques ; c’est sans doute de là que vient le statut de premier sacrement de la foi chrétienne qui est attaché au baptême. Toutefois, c’est le sens et la fonction de la période de formation, le catéchuménat, qui amena à s’interroger dès les origines, mais aussi de nos jours encore, sur le baptême des enfants ; voir par exemple, les critiques sinon, les réserves de certains Pères de l’Eglise. 
V – Une société de baptisés.
Quand en Europe notamment, il devint patent qu’on devient chrétien par "héritage", après donc l’époque apostolique et l’époque des Pères, le schéma baptismal n’a pas fondamentalement changé – l’Eglise y veillait ! – mais, le rite joua un rôle identitaire en plus de sa fonction initiale de  pénitence et de sanctification, et pour beaucoup de personnes baptisées, cette fonction identitaire prit le pas sur toute autre considération ; en particulier, avec l’ouverture au reste du monde  à partir du XV eme  siècle. En effet, quand l’Occident se lança à la conquête du monde, - conquêtes politiques et économiques -l’Eglise n’était pas de reste, et pour l’habitant du vieux continent, son identité face au monde fut d’abord d’être chrétien, c’est – à – dire : baptisé. Ce rôle identitaire de ce sacrément ne continue – t – il pas de fonctionner aujourd’hui encore ? Certainement oui, car, dans les débats mondiaux actuels, quand on parle de l’"Occident", n’est-ce pas à ce monde chrétien qu’on se réfère implicitement, même inconsciemment ?
Ce rôle identitaire du baptême en Europe ne doit pas surprendre dans la mesure où le baptisé est à la fois dans l’Eglise depuis toujours (rôle d’agrégation et de sanctification du baptême) et dans le monde (rôle de témoin de la foi en tant que laïc chrétien dans le monde) ; il va donc de soi qu’être baptisé confère une identité, que justement le concile Vatican II lui demande de déployer dans le monde (Lumen Gentium 30 – 38).
Certes, être chrétien par héritage a beaucoup évolué depuis quelques décennies pour aboutir à un retournement de situation qui amène nombre de baptisés à demander à être "débaptisé", mais je ne pense pas que ces personnes, autant qu’elles en soient conscientes, tournent le dos aussi à ce rôle identitaire ; disons qu’elles demeurent "des baptisées athées !"
Signalons enfin que l’expansion géographique à partir du point central que fut Jérusalem va avoir une autre conséquence, cette fois, organisationnelle, en effet, l’évêque qui est censé œuvrer, dû déléguer une partie du rituel ; cette délégation peut concerner les deux aspects du sacrement, baptême d’eau et l’onction d’huile – en Orient – ou seulement un des aspects, en Occident, c’est le baptême d’eau ; alors que la confirmation reste le prérogative de l’évêque, d’où la nécessité d’une délocalisation géographique et temporelle le plus souvent.
Conclusion.
Des rites d’eau au baptême chrétien, nous, les hommes, avons poursuivi depuis la nuit des temps une quête, celle qui consiste à donner sens "au nourrir son corps" et" au nourrir son esprit" avec souvent des égarements dans de fausses directions ; il revient au christianisme d’avoir donné  sens et espoir à cette quête en montrant la direction dans laquelle nous pouvons la poursuivre sans nous perdre, mais surtout, en réunissant dans le rite baptismal ce qu’est la vie du corps (qui doit mourir) et ce qu’est vivre par l’esprit, c’est-à-dire le lien qui doit nous réunir comme communauté, mais qui doit aussi nous faire nous tourner vers le créateur.
Paul Aclinou, juin 2013

Bibliographie.
Tertullien, Traité du baptême, Edition du Cerf, Paris, 2002.
Tertullien, Le baptême : Le premier traité chrétien, Edition du Cerf, Paris, 2008.
M.-E. Boismard : Le baptême chrétien selon le Nouveau Testament, Edition du Cerf, Paris, 2001.
Documents du Magistère sur le baptême et la confirmation. : CDC (1983), livre IV, titre 1 : 849 -896
Sur Internet :

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