I – Introduction
Le
baptême chrétien qui est dans son principe une porte d’entrée pour l’homme
gagné par la foi dans l’église ou la communauté du peuple de Dieu, plonge ses
racines par certains de ses éléments dans les profondeurs de l’imaginaire des humains.
On ne peut pas écarter en effet, que le baptême soit un prolongement des rites
d’eau qui parcourent toutes les cultures, toutes les civilisations et tous les
peuples de la terre depuis la nuit des temps. Il garde aujourd’hui encore un
lien avec ces rites en cela que le rite d’eau à l’origine fut un rituel de
salut, et donc de survie. N’est-ce-pas ce lien qui justifie, symboliquement,
que dans les cas d’extrême urgence, toute personne, y compris un non-chrétien,
peut donner le baptême.
Je me propose d’explorer en bref quelques
aspects du baptême chrétien en partant des rites d’eau selon le plan ci-dessus.
Le rite d’eau signe la symbolique de la vie
par le rôle vitale de l’eau au premier degré ; il signe également la
notion de pureté, et d’abord, celle du corps, pureté qui n’est qu’un
prolongement de la vie, entendue comme celle du corps comme celle de
l’esprit ; il signe enfin le passage symbolique de la pureté du corps à
celle de l’esprit dans sa relation à la divinité. Je me propose de parcourir le
déploiement du baptême chrétien depuis les origines pour en faire ressortir brièvement
les variations de son sens.
II - Significations et fonction dans le rituel israélite.
L’universalité
des rites d’eau n’a pas épargné les peuples sémites, en particulier le peuple
juif, c’est ce dont on peut se rendre compte à la lecture du Lévitique
notamment. Il est devenu pendant et après l’Exode, un rite de purification
exclusif qui prélude à tout acte en direction de la divinité, qu’il s’agisse de
prières ou bien qu’il s’agisse de sacrifices ; dès lors, il semble que pureté
corporelle, signe de vie, et pureté spirituelle, signe de salut, soient
confondues avant que le second aspect, la pureté spirituelle, signe de salut,
ne devienne prépondérant en tant que symbole, puis l’essentielle, et enfin
l’unique possibilité, quand sacrifier sera rendu impossible. Ainsi, quand le
premier Temple fut détruit et le peuple déporté en Babylonie, en -597, -585
puis en -581 selon le Prophète Jérémie, (même si seule les élites politique,
religieuse et économique des juifs furent déportées) ; en effet, la destruction
du temple interdisait tout sacrifice à Yahvé car, le Temple symbolise la table
de sacrifice dans le rituel hébreux, et que celle-ci est une partie intégrante
du sacrifice. Il ne restait alors que la lecture des textes sacrés et les
rituels de purification qui acquièrent dès lors progressivement un caractère de
sanctification. N’est-ce-pas là, en partie, le sens qu’avait le baptême de Jean
Baptiste ?
III – Le baptême chrétien
A - Le baptême de
Jean : sens et contre-sens.
Avec
Jean le baptiste, le rite "baptismal" juif va changer de
signification, il introduit un rituel nouveau, en particulier, il faut un
baptiseur, ici Jean, ce fut le cas d’autres anachorètes qui opéraient le long
du Jourdain à la même époque, mais c’est l’activité de Jean que nous pouvons
regarder comme un prélude au baptême chrétien, comme un rite qui procure le
pardon des péchés, il n’est plus question de rites de pureté rituelle mais d’un
acte de contrition en présence d’un témoin, le baptiseur. Il s’agit d’une
acceptation implicite de rejoindre le groupe de ceux qui croient à l’imminence
de la venue du Messie ; c’est un acte de pénitence préparatoire à la venue
des temps messianique.
B
- Le baptême de Jésus.
Le
baptême de Jésus va transformer le baptême de Jean, qu’il a reçu dans le
Jourdain en un rite nouveau tant par son rituel et sa symbolique que dans sa
signification. En effet, le baptême chrétien qui fut dispensé après la
Pentecôte, fut un renouvellement complet de sens et de portée. Nous avons
toujours la nécessité de l’eau et d’un baptiseur auxquels s’ajoute la formule
baptismale trinitaire. Ce dernier élément confère sa véritable spécificité au
rituel qui est d’être aussi un baptême par l’Esprit Saint ; d’où il ne put
véritablement commencer qu’après la Pentecôte et le don de l’Esprit Saint.
En
résumé :
1°/ Le rite :
On est baptisé ; il ne suffit donc plus de se donner une ablution,
même totale.
L’eau est nécessaire,
mais le rituel peut prendre des formes variées selon les circonstances.
La formule baptismale
est trinitaire et est dite par celui qui baptise.
Le baptême n’est
administré qu’une fois, contrairement aux rites d’ablution.
2°/ Le sens :
La formule baptismale
instituée par le Christ selon Mathieu 28, 19 ouvre à la participation à sa vie,
et donc à sa résurrection. Ce qui veut dire la rémission du péché ; ce qui
veut dire également l’ouverture au salut ; ce qui veut dire enfin, la
libre agrégation à une communauté.
Le
rite, comme le sens du baptême chrétien n’en font pas un système monolithique pour
autant ; c’est un symbole qui a ouvert à différents questionnements dès
les premiers instants du christianisme. Au premier rang de ceux –ci, la
question de son fondement, à savoir : baptême d’eau ou baptême de
l’esprit ? Baptême de salut ? Baptême de pénitence ? Baptême de
conversion ? …
C
– Saint Paul et le baptême.
Saint
Paul d’abord, puis les Pères de l’Eglise ensuite vont s’employer à déployer les
réponses diverses et variées à ces questionnements ; c’est le signe que le
baptême est un sacrement fondamental dans le christianisme, beaucoup plus fondamental
que les divers rites d’eau qui voulaient relier l’homme à son créateur, avec ou
sans intermédiaire. Il en est ainsi parce que très tôt, il fut considéré que le
baptême symbolise, non seulement un acte d’adhésion, un acte de foi en la
nouvelle vision de la divinité, c’est-à-dire un Dieu d’amour, mais aussi une
sanctification parce qu’il fait participer l’adepte à la mort du Christ, rite
d’eau symbole de mort, mais aussi à la résurrection du seigneur, rite d’eau
symbole de vie et de rédemption, et ce dernier point fait du baptisé un fils de
Dieu. Pour Saint Paul notamment ce point de vue, rite de sanctification est le
plus important et c’est lui que traduit le baptême par l’esprit. Rom
6,3-4 ; Gal 3, 26-28 ; Rom 8, 17 ; Col 2, 12. Justin de
Rome : Dialogue de Tryphon 12, (la circoncision nouvelle) ; 13, 14
(le baptême de pénitence) …
On
retrouve donc les deux aspects : baptême de pénitence et baptême de
sanctification, d’où les deux onctions, disjointes dans le temps ou non.
IV - Evolutions et rôles sociétales.
Très
tôt semble – t – il, une préparation au baptême fut nécessaire, une sélection
et une préparation du futur baptisé, mais également celles du baptiseur quand
les évêques furent contraints de déléguer tout ou partie de l’exécution du
rituel baptismal. Pour le candidat au baptême, le simple désire d’adhésion ne
suffit plus ; il ne suffit plus de croire, il faut aussi manifester sa
volonté et le désire d’accès à la nouvelle communauté par la connaissance du
contenu et des règles. Ce fut aussi un moyen de mise en ordre dans les premiers
temps, époques où l’adversité était grande. En outre, la préparation au baptême
est nécessaire, car, on change le sens du rituel tout en conservant le symbole
qui est l’eau pour une part ; elle est nécessaire également pour mettre en
exergue la signification du baptême spirituel qui demande un engagement actif
de l’impétrant, un engagement de vie qui désormais est placée sous le signe du
Saint Esprit et de l’apostolat. On comprend dès lors que pour Saint Paul, le
baptême de l’esprit est la
signification véritable du baptême chrétien, et dans ce cas, la symbolique de
l’eau ici est celle de la mort qui sera suivit de la renaissance dans l’Esprit
Saint. (Rom 6,4) ; mais aussi Jean 3, 5.
Catéchuménat
Etre
baptisé, c’est comprendre ce rituel de mort et de résurrection
symboliques ; c’est sans doute de là que vient le statut de premier
sacrement de la foi chrétienne qui est attaché au baptême. Toutefois, c’est le
sens et la fonction de la période de formation, le catéchuménat, qui amena à
s’interroger dès les origines, mais aussi de nos jours encore, sur le baptême
des enfants ; voir par exemple, les critiques sinon, les réserves de
certains Pères de l’Eglise.
V – Une société de baptisés.
Quand
en Europe notamment, il devint patent qu’on devient chrétien par
"héritage", après donc l’époque apostolique et l’époque des Pères, le
schéma baptismal n’a pas fondamentalement changé – l’Eglise y veillait ! –
mais, le rite joua un rôle identitaire en plus de sa fonction initiale de pénitence et de sanctification, et pour
beaucoup de personnes baptisées, cette fonction identitaire prit le pas sur
toute autre considération ; en particulier, avec l’ouverture au reste du
monde à partir du XV eme siècle. En effet, quand l’Occident se lança à
la conquête du monde, - conquêtes politiques et économiques -l’Eglise n’était
pas de reste, et pour l’habitant du vieux continent, son identité face au monde
fut d’abord d’être chrétien, c’est – à – dire : baptisé. Ce rôle
identitaire de ce sacrément ne continue – t – il pas de fonctionner aujourd’hui
encore ? Certainement oui, car, dans les débats mondiaux actuels, quand on
parle de l’"Occident", n’est-ce pas à ce monde chrétien qu’on se
réfère implicitement, même inconsciemment ?
Ce
rôle identitaire du baptême en Europe ne doit pas surprendre dans la mesure où
le baptisé est à la fois dans l’Eglise depuis toujours (rôle d’agrégation et de
sanctification du baptême) et dans le monde (rôle de témoin de la foi en tant
que laïc chrétien dans le monde) ; il va donc de soi qu’être baptisé
confère une identité, que justement le concile Vatican II lui demande de
déployer dans le monde (Lumen Gentium
30 – 38).
Certes,
être chrétien par héritage a beaucoup évolué depuis quelques décennies pour
aboutir à un retournement de situation qui amène nombre de baptisés à demander
à être "débaptisé", mais je ne pense pas que ces personnes, autant
qu’elles en soient conscientes, tournent le dos aussi à ce rôle
identitaire ; disons qu’elles demeurent "des baptisées
athées !"
Signalons
enfin que l’expansion géographique à partir du point central que fut Jérusalem
va avoir une autre conséquence, cette fois, organisationnelle, en effet,
l’évêque qui est censé œuvrer, dû déléguer une partie du rituel ; cette
délégation peut concerner les deux aspects du sacrement, baptême d’eau et
l’onction d’huile – en Orient – ou seulement un des aspects, en Occident, c’est
le baptême d’eau ; alors que la confirmation reste le prérogative de
l’évêque, d’où la nécessité d’une délocalisation géographique et temporelle le
plus souvent.
Conclusion.
Des
rites d’eau au baptême chrétien, nous, les hommes, avons poursuivi depuis la
nuit des temps une quête, celle qui consiste à donner sens "au nourrir son
corps" et" au nourrir son esprit" avec souvent des égarements
dans de fausses directions ; il revient au christianisme d’avoir donné sens et espoir à cette quête en montrant la
direction dans laquelle nous pouvons la poursuivre sans nous perdre, mais
surtout, en réunissant dans le rite baptismal ce qu’est la vie du corps (qui
doit mourir) et ce qu’est vivre par l’esprit, c’est-à-dire le lien qui doit nous
réunir comme communauté, mais qui doit aussi nous faire nous tourner vers le
créateur.
Paul Aclinou, juin 2013
Bibliographie.
Tertullien, Traité du baptême, Edition du Cerf, Paris, 2002.
Tertullien, Le baptême : Le premier traité chrétien, Edition du Cerf, Paris, 2008.
M.-E.
Boismard : Le baptême chrétien selon le Nouveau
Testament, Edition du Cerf, Paris, 2001.
Documents du Magistère sur le
baptême et la confirmation. : CDC (1983), livre IV, titre 1 : 849
-896
Sur Internet :
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