I – Introduction.
On peut considérer que
les adeptes de Jésus de Nazareth suivaient et écoutaient l’enseignement du maître en tant qu’adeptes, sans aucune
catégorisation particulière, si ce n’est à un moment donné la constitution du
"groupe des douze" par Jésus lui-même, groupe dont la symbolique de
sa constitution est évidente en cela que nous avons une corrélation explicite
aux douze tribus de l’Israël vétérotestamentaire.
A part cela, la nouvelle communauté
était uniforme dans sa composition et dans son fonctionnement jusqu’à la
crucifixion. Après l’évènement Pâques, et surtout après l’évènement
pentecôtiste et le don de l’esprit, nous verrons apparaître l’ébauche d’une
différentiation qui ne fera que croitre en donnant naissance à des groupes d’adeptes
spécialisés dont celui des laïcs. Je me
propose de parcourir l’enseignement que dispense le concile Vatican 2 sur la
place et le rôle de ces laïcs aujourd’hui dans l’Eglise, peuple de Dieu.
Je vais dans un premier
temps survoler le parcours du laïcat au sein de l’Eglise depuis les origines. Mon
propos suivra le plan qui est ci-dessus.
II
– Aux origines.
Si après Pâques et la
Pentecôte de l’an 33 on peut considérer les apôtres comme les premiers
ministres ordonnés, et ce, directement par le Christ, toutes les activités
apostoliques, voire ministérielles étaient aussi le fait d’adeptes non ordonnés
qui se fondaient dans leur apostolat uniquement sur leur baptême et sur leur
foi ; c’était leur seul justification, d’autant que saint Paul utilise
l’analogie du corps pour exhorter à cet apostolat dans Rom, 12, 4 – 8, ou encore dans 1cor
12, 27-30. Il est clair que la distinction des membres ne venait pas alors du
fait d’être ordonné -ou consacré- ou pas, mais l’assemblée se distribuait en
fonction des dons, différents, que Dieu a accordés aux uns et aux autres ;
dès lors, l’appartenance à l’Eglise ne se fondait pas sur une structuration
administrative ou organisationnelle. En clair, dans ces temps des origines,
nous ne pouvions pas parler de laïcs distingués des clercs ; il faudra attendre l’émergence de la notion
théologique de "peuple élu" appliquée aux chrétiens pour qu’émerge
l’usage du terme laïc, et selon A. Faivre, il fut appliqué d’abord aux juifs en
tant qu’ils sont membres du peuple de Dieu. Avec l’apologiste Justin de Rome,
l’usage du terme sera étendu aux chrétiens avec le même sens de membres de
peuple de Dieu. Le laïc, tel qu’on l’entend de nos jours ne fit son apparition
que lorsqu’il s’avéra nécessaire de distinguer ceux qui avaient en charge la
liturgie sous l’appellation de clerc. Il y avait ainsi deux groupes : les
ministres de la liturgie, c’est-à-dire le clergé, et ceux qui n’avaient pas
cette charge, les laïcs. Ce sont eux,
les "laïcs" qui seront à l’origine dès le 4eme siècle de
l’apparition de la troisième catégorie que nous connaissons aujourd’hui sous
l’appellation de consacrés. Ce sont les laïcs en effet qui vont donner
naissance au monadisme, d’abord dans le désert, ensuite, cette expérience
spirituelle va s’étendre puis se mettre progressivement sous la direction de
clercs, le groupe ainsi formé de laïcs et de clercs, donnera naissance à la vie
religieuse qui s’appuiera sur des vœux et des règles. Dès lors, la catégorie de
chrétiens laïcs est définitivement installée dans la vie de l’Eglise à côté des
ministres ordonnés et des consacrés ; cette catégorie y a joué un rôle de
plein droit et n’a pas hésité à prendre des initiatives dans l’Eglise des
premiers siècles, comme les adeptes le faisaient à l’origine, encouragés en
cela par les apôtres, ainsi, Saint Paul écrit :
Ephésiens : 2.19 "Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors; mais
vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu."
2.20 "Vous
avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus Christ
lui-même étant la pierre angulaire."
III
- Un état de fait
La distinction faite,
l’Eglise s’installa très vite dans un processus de fonctionnement dans lequel
les laïcs semblaient ne pouvoir jouer qu’un rôle de second plan, d’où une
connotation péjorative qui se trouva attachée au terme de laïc. Tout se passait
alors comme si l’Eglise, c’était d’abord les ministres ordonnés, les religieux
et la hiérarchie. Pourtant, malgré la méfiance, voire l’hostilité de ces
derniers, les laïcs ne vont jamais cesser de mettre en exergue leur ressenti
spirituel et leur adhésion à la foi, à travers des organisations associatives
pour une vie consacrée, soit autour ou à proximité des ordres religieux, sans
pour autant se couper du monde, soit en choisissant une vie de prière et
d’action sociale sans pour autant se lier à des ordres religieux ni prononcer
des vœux. Ce fut le cas par exemple des béguines qui vivaient dans des demeures
privées.
On peut citer Sainte
Catherine de Sienne et Saint François d’Assise comme exemples de ces laïcs
audacieux qui avaient tenu pleinement leur place dans l’Eglise. Les confréries
étaient également la manifestation de la volonté des laïcs à affirmer leur
appartenance organique au peuple de Dieu.
Si l’Eglise a, en quelque
sorte, introduit d’avantage de distance entre elle et les laïcs depuis les
réformes dont le point culminant fut la réforme grégorienne, c’est dû au fait
que l’Eglise comme organisation a entretenu depuis l’empereur Constantin des
rapports complexes et parfois ambigus avec les pouvoirs politiques ; or le
pouvoir politique, c’est aussi l’affaire des laïcs entendus cette fois comme
citoyens. On a donc d’un côté, l’ensemble formé des ministres ordonnés et des religieux, et de l’autre les laïcs. Ceci
peut s’expliquer par deux raisons :
Les luttes pour le pouvoir, de premier type, se passent entre
le pouvoir politique séculier et la hiérarchie ; le second type de luttes
pour le pouvoir intervient cette fois entre la hiérarchie, en particulier la
"cour papale", et le reste des ministres ordonnés et les religieux.
Plus significatif est sans doute la seconde raison qui
porte sur un point de vue pastoral, on peut parler de l’Europe comme d’un monde
chrétien dès le début du moyen âge, un
monde qui recouvre ce qu’on appelle aujourd’hui encore le monde occidental,
synonyme de chrétienté ; dans ce monde qui est lié au Christ, ce monde dans
lequel toutes les personnes sont chrétiennes,
il s’est créé une ligne de partage, avec d’un côté, les "laïcs"
ou monde profane, peu ou prou méprisé, à qui on ne dénie aucunement son
attachement aux valeurs du christianisme, mais dont le rôle est considéré comme
secondaire ; on n’attendait de lui qu’obéissance et dévotion.
Cet effacement relatif
des laïcs dura jusqu’à l’émergence des humanistes, il eut une prise de
conscience qui entraina la contestation de la toute-puissance de
l’ensemble ministres ordonnés et
religieux en tant qu’unique détenteur de l’héritage ; le succès de la
Réforme dans ces différentes composantes n’est – elle pas à placer dans ce
cadre ?
Quand vinrent 1789 avec
ses bouleversements, et la nouvelle structure sociale induite par l’essor
industriel, l’Eglise se trouva confronté à une situation d’hostilité – qui dure
encore en partie- et qui rappelle par certains aspects, le temps des
origines ; ce fut un défi, et les laïcs n’ont pas hésité à le
relever ; ce fut le début du renouveau.
IV
– Le renouveau
Il convient d’insister
sur le fait que ce renouveau des laïcs dans l’Eglise ne s’est pas fait
fondamentalement au détriment de la hiérarchie ou des religieux, mais il est le
signe de la ténacité dans la foi, il signe la détermination et la continuité du
fait laïc dans l’Eglise depuis les origines, il faut rendre hommage à cette
volonté.
Quant au renouveau, il
passera par le fleurissement d’associations de laïcs, d’abord de piété, puis de
la forme de congrégations religieuses, ou de mouvements de patronage pour
l’aide et l’entraide : société de St Vincent de Paul, cercles catholiques
d’ouvrier ; mouvements de jeunes travailleurs… Ce renouveau apparu au XIX eme
siècle, va se poursuivre en s’amplifiant au XXeme ; il
concerne autant la vie sociale et laïque que l’approche spirituelle pour former
à l’esprit apostolique, ecclésial et eucharistique ; la spiritualité
mariale entre dans ce domaine du renouveau.
Toutes ces actions ont un
point commun qui est la rencontre des personnes ; il faut ajouter que les
initiatives venaient autant des laïcs que des ministres ordonnés et des
religieux, mais les laïcs ont prouvé dans ces moments, leur appartenance
indéfectible au corps de l’Eglise. Il ne restera à celle-ci, à travers la
hiérarchie, qu’à en prendre acte ; ce fut l’œuvre de Vatican II, qui
resitua et rétablit la place et l’importance des laïcs dans ce corps du Christ
qu’est l’Eglise.
V
– Vatican II
Avant même que le concile
Vatican II ne se pencher sur le cas des laïcs, l’Eglise avait déjà, grâce au
dynamisme des laïcs, pris conscience de leur importance, au niveau de la
hiérarchie, car, accepter que l’Eglise est d’abord peuple de Dieu avant d’être
une institution, amène à chercher à préciser la place des différents éléments
qui forment ce peuple. Ainsi, avec l’encyclique Mystici Corporis Christi, (29 juin 1943) le Pape Pie XII intègre totalement les "non-initiés"
c’est-à-dire les laïcs, dans cette église, corps mystique du Christ. Il restera
aux Pères conciliaires de Vatican II à élaborer une véritable théologie du
laïcat.
La mise à jour : le sacerdoce
commun.
Après avoir rappelé que
l’Eglise est comme un "mystère", "Le mystère de l’Eglise",
le concile précise que la totalité de ses membres, c’est-à-dire ceux qui sont
incorporés au Christ, sont les baptisés. Ils sont constitués en peuple de Dieu,
et comme tel, chacun est appelé aux fonctions sacerdotale (prière et sanctification), prophétique (témoigner et promouvoir l’Evangile du Chris), royale (annoncer l’Evangile), chacun en
fonction de l’état de vie auquel il appartient. Comme tel, les laïcs ont leurs
missions propres, indépendamment de la participation de tous au sacerdoce
commun (LG, 10,11) partie de l’unique sacerdoce du Christ. Ce qui interdit à ce
niveau les séparations évoquées plus haut entre laïcs, ministres ordonnés et
religieux.
Une définition
propre.
Le laïc est reconnu comme
tel, et non par rapport au clergé ou au religieux ; il est séculier, il
vit dans le monde, il possède donc un caractère qui lui est propre, ce qui
entraine :
- Sa dignité de chrétien, elle est fondée sur son baptême, ce qui en
fait un membre de plein droit du peuple de Dieu.
- L’égalité avec les autres composantes du corps du Christ, une égalité
qui est fondée, là aussi, sur son baptême.
Droits et
obligations.
La dignité du laïc comme
son égalité s’entendent en union avec les autres composantes du peuple de Dieu,
car, le sacerdoce commun ne peut s’exercer qu’en communion. Il y a donc des droits et des devoirs qui sont partagés avec les autres groupes de
chrétiens ; leur mise en application peut cependant varier en fonction des
états de vie. Il en est ainsi de la vie de sainteté
et de charité que chacun doit
s’efforcer de mener, ou encore de l’évangélisation
et de l’apostolat ecclésial.
Plus spécifiquement, le
laïc étant aussi dans le monde, il
possède les droits et les devoirs de tout citoyen, mais ceux – ci doivent être imprégnés dans leur exercice, de l’esprit
chrétien, à distinguer des opinions strictement personnelles qui relèvent
de sa liberté d’être humain.
- Droits et obligations à la formation, y compris dans les sciences
sacrées avec la possibilité de l’enseigner s’il en possède les capacités.
- Droit à exercer des offices et charges ecclésiales en
fonction de ses capacités, avec l’obligation d’acquérir la formation adéquate.
- Droit d’effectuer des ministères particuliers, ce sont les
laïcs en missions ecclésiales.
VI
- Relation avec la hiérarchie.
Là aussi, le concile a
précisé les droits et les devoirs des laïcs en direction –et réciproquement- de
la hiérarchie, avec laquelle ils sont en contact permanent pour la vie de
l’Eglise.
Il a droit au respect et
à la prise en compte de sa dignité. Il doit recevoir des ministres ordonnés les
ressources qui sont nécessaires à sa vie spirituelle dans l’Eglise et dans le
monde. Il doit, à l’inverse respect et obéissance aux ministres ordonnés et aux
consacrés ainsi qu’à la hiérarchie.
VII
– Conclusion.
Vatican II a introduit
une véritable théologie du laïcat par la constitution dogmatique Lumen
Gentium, qui commence par la reconnaissance et l’affirmation que les laïcs sont l’Eglise.
La constitution
dogmatique LG IV, 30 – 38 réintroduit pleinement les laïcs dans la vie de
l’Eglise d’où ils n’auraient jamais dû être écartés. C’est pour une large part,
la reconnaissance de leur combativité tout au long des siècles au nom de leur
baptême et de leur foi.
LG fait donc une mise à
jour en définissant précisément ce qu’est le laïc, en lui reconnaissant liberté
et dignité en tant que baptisé et en tant que chrétien dans le monde ; en
précisant ses droits et ses devoirs ; en soulignant enfin le cadre et les
limites de ses rapports avec la hiérarchie.
Tous ces points sont
repris et déployés par le décret Apostolicam
actuositatem, ce qui veut dire que le concile Vatican II n’a pas clos le
débat, au contraire il l’a ouvert, comme on peut en juger par les différentes
réceptions à travers les Eglise particulières, et parfois au sein même de
celles-ci. D’où, la nécessité des interventions de la hiérarchie pour placer
des garde-fous. Il est encore trop tôt pour juger de la portée de cette
théologie consécutive au retour de plein droit des laïcs dans l’Eglise au
niveau où LG les a placés. Il en est sans doute de même pour l’ensemble des
avancées de Vatican II.
Bibliographie.
Constitution
apostolique Lumen Gentium, Rome, 21
novembre 1964.
Décret
Apostolicam actuositatem, Rome, 18 novembre
1965.
Saint
Paul, Epitre aux romains, 12, 4-8 ;
Epitre aux Corinthiens, 12, 27-30.
Benoit
XVI, Le rôle des laïcs dans l’Eglise, discours du 15 novembre 2008. (Zenit.org)
Les laïcs, coresponsables de l’Eglise, discours du 23 aout 2012.
(Zenit.org)
A.
Faivre, Les premiers laïcs, Edition
du signe, 1999.
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